Notre grand-père, Louis Coatalen
Notre grand père, Louis Coatalen, était dans la vie un homme pressé …
Son histoire est remarquable dans ce sens que, d’origine très modeste et né à Concarneau, il est devenu l’un des pionniers de l’histoire automobile de son temps.
Louis Coatalen est né en 1879, son père était forgeron, et sa mère avait un petit hôtel près de la Gare. Louis avait un frère François qui le suivra un jour en Angleterre. Ces deux garçons se retrouvèrent orphelins alors qu ils avaient une dizaine d’années. Après le décès de leurs parents, ils furent recueillis par un oncle à Pont l’Abbé, et c’est cet oncle qui prit la décision d’envoyer Louis faire des études d’ingénieur dès l’âge de 16 ou 17 ans à l’Ecole des Arts et Métiers de Cluny : une grand aventure, à l’époque, de quitter le Pays Bigouden pour aller faire des études d’ingénieur à l’autre bout de la France! Très doué, notre grand-père bénéficia de plusieurs bourses pour suivre ses études.
L’Ecole des Arts et Métiers était spécialisée dans la formation des jeunes gens dans la mécanique. Des années plus tard, la plupart des étudiants qu’on appelait les “Gadzarts” devinrent des cadres dans l’industrie automobile bien que dans les années 1890, le design automobile en était à ses balbutiements. A la sortie de Cluny, notre grand-père fit son service militaire avant de travailler dans les bureaux de différents constructeurs automobiles à Paris ; Panhard-Levassor et Clément-Bayard, qui à cette époque étaient des entreprises employant des centaines de personnes.
Lorsqu’il eut 21 ans, il décida de quitter la France pour l’Angleterre. Les raisons de ce départ diffèrent. Selon certains auteurs, il aurait eu des échos enthousiastes d’autres ingénieurs français partis travailler pour Lawson’s British Motor Syndicate. Pour d’autres, il avait rapidement compris que l’horizon professionnel dans l’automobile française était bouché pour de jeunes ingénieurs ambitieux.
Le dernier employeur de notre grand-père fut Clément Bayard. Après deux années de bons et loyaux services, il s’enhardit à demander une augmentation à son grand patron. Celui-ci lui répondit très franchement ; «Oui, je devrais vous augmenter mais cela m’embêterait beaucoup». Et pour marquer cependant sa satisfaction à son jeune ingénieur, il ajouta : «Dorénavant, au lieu de prendre l’escalier de service, vous pourrez passer par le grand escalier !».
C’est ce détail, ajouté à d’autres, qui le décida à partir en Angleterre avec un aller simple alors qu’il ne parlait pas un mot d’anglais.
Au début de l’année 1902, notre grand-père conçut la voiture Humber 12 chevaux.
On raconte comment Louis Coatalen arrivait à ses fins. « A cette époque des moteurs à deux cylindres, les esprits avancés en souhaitaient trois ou quatre. Et Louis Coatalen avait les plus grandes difficultés à persuader ses directeurs ultra-conservateurs de passer à trois cylindres. Quand le jour vint d’inspecter le nouveau modèle, on souleva le capot et dessous… il y avait quatre cylindres !
Deux de ses voitures participèrent en 1902 à la course de 650 miles de l’Automobile Club ; une voiture cassa et l’autre s’en sortit honorablement. Il est sans doute significatif que la première voiture dessinée par Louis Coatalen soit lancée directement dans la course. Cette attitude fut son maître mot durant toute sa vie de constructeur automobile : «racing improves the breed» soit «La course améliore la race».
Quand son supérieur, qui pilotait les voitures, décida d’arrêter, notre grand-père passa derrière le volant avec grand plaisir en 1905. A vrai dire, c’était tout ce qu’il souhaitait, à la grande joie du directeur de l’entreprise Humber qui disait : « nous sommes heureux d’avoir les services de ce jeune Français, mais nous ne pouvons le garder derrière son bureau ; il sortira sur la route et conduira une voiture ».
Durant cette année 1905, Louis Coatalen participa à une dizaine de courses. L’année suivante, il se concentra sur la course de l’île de Man pour laquelle il prépara une voiture de 20 chevaux. Comme sa voiture était une des plus lourdes et des plus gourmandes en essence, il avait trouvé une astuce. Il gravissait les collines le plus rapidement possible puis éteignait le moteur en haut et laissait rouler la voiture pour ne pas user davantage d’essence. Arrivé en bas, il accélérait de nouveau. Cette technique risquée lui permit d’arriver sixième de la course.
En six ans, Louis Coatalen s’était imposé comme un créateur à succès et un pilote compétitif. Les profits de la compagnie n’avaient jamais été aussi élevés. Le succès qu’il obtint à cette époque frappa les financiers de la City londonienne. On allait jusqu’à dire : « Quand Coatalen arrive, les actions montent!». La demande pour ses voitures était telle qu’il y avait des mois où il n’y avait pas suffisamment de place dans les usines et qu’elles devaient être achevées dans la rue. Et il n’avait que 27 ans !
En mai 1907, une nouvelle voiture, fabriquée en accord avec l’ingénieur moteur Hillman, prit part au «Tourist Trophy race», course de 360 kilomètres, conduite par Louis Coatalen.
Il renouvela cet exploit en 1908 sur l’île de Man.
C’est en février 1909 que Thomas Cureton, fondateur de Sunbeam Motor Car, remarqua le talent de Louis Coatalen et il lui proposa le poste de Chef Ingénieur.
Sa première apparition sur une voiture Sunbeam arriva au Scottish trial en juin 1909. Il était accompagné de son futur beau-père, Henry Bath. Début octobre, à l’automobile club de Wolverhampton, Louis Coatalen conduisit une six chevaux accompagné de son épouse, Olive Bath, notre grand-mère. La voiture arracha le deuxième temps le plus rapide de la journée.
L’année suivante, l’enthousiasme et l’énergie de Louis Coatalen furent plus débordants que jamais. Il conduisit son nouveau prototype 12-16 chevaux sur sept courses à Brooklands durant la saison, remportant trois victoires et trois deuxièmes places. Il établit également un nouveau record du demi mile à 106 km/heure à bord d’une voiture appelée « Toodles », surnom de notre grand-mère qui avait pris l’habitude de courir avec lui.
Tout en démontrant la vitesse et la fiabilité de chaque nouveau modèle, Louis Coatalen tenta aussi des expériences avec des voitures de course très expérimentales. La « Nautilus », avec sa carlingue profilée comme un sous-marin, fit sa première sortie au rassemblement de Brooklands, en mars 1910. Bien qu’elle fit quelques courses peu convaincantes, Louis Coatalen parcourut un kilomètre record à la vitesse de 123 km/heure.
L’année suivante, « Toodles II » eut plus de succès et gagna plusieurs courses à Brooklands.
Fort de ces succès, Louis Coatalen commença à entrevoir des projets internationaux pour Sunbeam. Grâce à une modification du moteur, le modèle 12-16 chevaux fut sélectionné pour la Coupe de l’auto qui eut lieu à Boulogne sur Mer en juin 1911.
Son importance grandit dans l’entreprise. Sous sa direction, de nouvelles machines automatiques furent installées et la production s’accrut. Non seulement il dessinait les voitures mais il réorganisait les usines et engageait de nouveaux talents. De grands ingénieurs racontèrent qu’ils l’appelaient entre eux « le dénicheur de loups ». Quand Louis Coatalen visitait une usine, il tombait toujours sur le «truc» qu’il ne fallait pas voir ; il voyait tout de suite la faille d’organisation, la faille d’usinage, le défaut d’approvisionnement des machines. Il le voyait instantanément. Et, si sa remarque pouvait être ironique, elle restait toujours bienveillante.
Récompense de sa réussite fulgurante, Louis Coatalen fut nommé directeur de Sunbeam en janvier 1912 et ses co-directeurs insistèrent alors pour qu’il abandonne le pilotage. Il prit son nouveau poste très au sérieux et engagea des pilotes français expérimentés pour préparer la course de la Coupe de l’Auto qui sera le plus grand succès de l’entreprise.
Le 26 juin 1912, en effet, la marque de voitures anglaises Sunbeam raflait les trois premières places dans la coupe de l’auto courue à Dieppe sur 1500 km. Pour la première fois, des Anglais y remportaient une victoire.
Après cette victoire, Louis Coatalen battit, les 18 et 23 septembre de la même année, les records du monde des 4 heures, 5 heures, 12 et 13 heures.
L’année suivante, il participa à d’autres courses où il améliora ses temps personnels. Alors qu’ils essayaient de lui faire abandonner définitivement le pilotage depuis 1911, sans grand succès, les autres directeurs de Sunbeam furent heureux de le voir stopper sa carrière de pilote. Une décision peut-être motivée par la naissance de son fils Hervé, le père de Carole sous-signée, en septembre 1913.
En 1913, Louis Coatalen acheta un avion biplan Farman qu’il équipa d’un moteur. C’est avec un avion équipé de ce moteur qu’eut lieu le premier vol transatlantique. Ce moteur fut vendu à des dizaines d’exemplaires à la Royal Air force et la Royal Naval Air Service ainsi qu’aux aviations françaises et russes.
Quelques semaines avant le déclenchement de la première guerre mondiale, Sunbeam avait 150 moteurs d’avion à huit cylindres en production. Ce furent les seuls moteurs d’avion disponibles en Angleterre à l’entrée en guerre du Royaume-Uni. Sunbeam passa de 250 à 300 chevaux et enfin 400 chevaux.
Début 1914, Louis Coatalen est nommé co-directeur de Sunbeam.
En liaison constante avec l’Amirauté britannique, Louis Coatalen fut amené à rencontrer des personnages importants, deux d’entre eux en particulier: le célèbre Lord Fischer, le premier Lord de la Mer et Winston Churchill, alors jeune politicien, dont Louis Coatalen disait, bien avant l’heure : « Vous verrez jusqu’où il ira ! ».
En réalité, on peut dire que toute l’aviation britannique fut équipée par les moteurs Sunbeam pendant la première guerre mondiale.
Louis Coatalen fut non seulement créateur des moteurs pour l’Aviation mais ses moteurs ont aussi équipé la grande majorité de hydravions et ballons dirigeables en Angleterre. Comme « designer », il était en avance sur tout le monde. Le gouvernement français montra son appréciation de son aide aux alliés en le nommant chevalier de la Légion d’honneur en 1954.
Notre grand père aimait raconter qu’au début de la guerre 1914, il fut convoqué pour servir comme 2ème classe sous les drapeaux en France. Mais l’Amirauté et le Home Office (Ministère de la Guerre) ne voulaient pas le laisser rentrer en France estimant qu il serait plus utile en Angleterre chez Sunbeam à concevoir des moteurs pour les avions. C’est ainsi qu’il obtint en quelques jours la nationalité britannique.
Durant les quatre ans de la guerre, Sunbeam concentra ses efforts sur différents types de moteurs pour les avions, les moteurs pour les bateaux et de petits hydravions et même les dirigeables !
Après la fusion de Sunbeam, avec Talbot et Darracq en 1920, Louis Coatalen fut nommé ingénieur en chef et ouvrit un bureau de dessin en plus de celui de Wolverhampton. Il relança également la participation des voitures dans des courses aux Etats-Unis dont les fameux 500 miles d’Indianapolis et les courses de Daytona.
En 1925, la Sunbeam Super Sports finit deuxième aux 24 heures du Mans devant les Bentley.
1925 fut l’année des records du monde. Cette année-là, Malcolm Campbell brisa la barrière des 225 km/h et Seagrave atteint la vitesse incroyable de 317 km/h dans une autre voiture.
En 1927, la course au record atteignit de nouveaux sommets. La célèbre « slug », qui n’avait rien d’une limace mais qui enveloppait le pilote, dépassa les 327 km/h sur les plages de Floride de Daytona beach. Elle mesurait 6,09 mètres, pesait 3800 kg et était équipée de deux V12 d’avion datant de la première guerre mondiale. Un était placé devant le pilote et l’autre derrière. Ce cinquième record du monde de Sunbeam fut le plus prestigieux… et le dernier.
Louis Coatalen voulut continuer sur sa lancée et fit fabriquer en 1929 un moteur diesel de 9 litres portant son nom. Pour des raisons financières, ce projet n’aboutit pas.
A cette époque, notre grand père eut des problèmes de santé dus au stress de sa vie trépidante. Il vint vivre en France et ses visites à Wolverhampton se firent plus rares. Il avait son bureau de dessin à Paris et passait la plupart de son temps libre dans sa villa de Capri.
La Société STD (Sunbeam Talbot Darracq) connut alors de graves problèmes financiers dus en partie à la concurrence de ces voitures sur les mêmes segments du marché. En clair, les unes se vendaient au détriment des autres. La faillite était inéluctable. A la suite d’un audit du groupe, tout le conseil d’administration démissionna en mars 1931. Les liens de Louis Coatalen avec Sunbeam furent tranchés après une association fructueuse de 22 ans. Le groupe STD fut racheté par les frères Rootes qui possédaient déjà Humber et Hillman.
Après sa démission, Louis Coatalen devint Président de la Société des Freins hydrauliques Lockheed à Paris, l’usine était à Saint Ouen, et plus tard aussi à Beauvais. Notre grand père était content de dire que toutes les voitures croisées sur la route étaient ses clients équipées de freins hydrauliques Lockheed. Il lança également les bougies KLG en France qui connurent un beau succès.
Il n’arrêta jamais d’être créatif et s’intéressait beaucoup aux moteurs diesels.
Après la Première Guerre Mondiale, les gros chars français, anglais et aussi russes étaient équipés de moteurs Coatalen.
En dix ans, de 1926 à 1936, il déposa plus de vingt brevets sur des moteurs diesel. En seulement six mois, il conçut un moteur diesel d’aviation de 600 chevaux qui fut exposé au salon de l’aviation de 1936 à Paris.
Pendant la deuxième guerre, les usines Lockheed, basée à Saint-Ouen, et K.L.G. à Saint Cloud, continuèrent à fonctionner. On demandait à notre grand-père de travailler pour les Allemands et il essaya le plus possible de saboter les matériels commandés par les Allemands.
En 1953, il fut élu président de la Société des ingénieurs automobiles.
Il venait de vendre sa société Lockheed lorsqu’il mourut, le 19 mai 1962.
L’Hôtel de la Monnaie frappa en 1974 une médaille commémorative en bronze portant un portrait en bas-relief réalisé par Lhoste et l’inscription: “Louis Coatalen 1879-1962 – ses moteurs vainqueurs sur terre, sur l’eau, dans les airs” et la date : 1923, l’année de la victoire d’une voiture Sunbeam au Grand Prix de l’Automobile Club de France. (Si vous avez l’occasion d’aller à l’Automobile-Club à Paris, vous pourrez voir ces médailles affichées dans l’ascenseur…)
Notre grand-père était un génie qui aimait la vitesse et le challenge de la compétition.
Il ne pouvait s’empêcher de concevoir des moteurs toujours plus rapides. Il était plein de courage et d’énergie. Ce sont ces qualités qui lui permirent d avoir une place importante dans l’histoire de l’industrie automobile.
Carole Coatalen/de Chabot
Catherine Coatalen/Testot-Ferry
Complément d’information par Henri Berthier, fils de Paul Berthier, PDG des Aciéries de la Marine de Saint-Chamond, successeur de François Arthur Théodore Laurent (1863-1953)
J’essaye ci-aprés de renseigner le volet Berthier-Pinay de l’histoire de Chazelles. Je laisse aux Coatalen Carole et Catherine ma cousine le soin de renseigner plus en avant le volet Coatalen. (cf article plus haut)
Je serai trés honoré d’être invité le jour de l’inauguration d’une « rue des Coatalen » à Chazelles .
Vos articles sur Chazelles, les bougies KLG et Louis Coatalen sur lesquels je suis tombé par hasard ont beaucoup intéressé la famille à commencer par ma mère Simone Berthier, 97 ans aussi, et ses souvenirs de 1938 toujours intacts.
Elle précise que son beau-père Paul Berthier, mon grand-pére (PDG des aciéries de la Marine en 1938), avait aussi été directeur des automobiles «Georges Irat» dans les années 30 et avait côtoyé Louis Coatalen dont il devint l’ami autour des courses automobiles de l’époque .
De retour aux aciéries à Saint-Chamond vers 1938 il était aussi très ami de Mr. Pinay, fut le beau-père de Jean Coatalen et l’historique de l’implantation des bougies KLG à Chazelles par Louis Coatalen s’est certainement passé comme vous le relatez avec les renseignements précieux de Carole de Chabot .
Ma mère ne peut pas vous en dire plus sur la date précise de la vente de cette usine et qui avait habité la maison de l’avenue des Tilleuls, avant Carole fille d’Hervé Coatalen et Catherine (Testot-Ferry) ma cousine, fille de Jean Coatalen Vos articles mettant à l’honneur la famille Coatalen : je laisse le soin à Carole et Catherine de vous informer plus si elles le souhaitent notamment sur le passé glorieux de Jean Coatalen (Livre de Bruyelles ci-dessous référencé).
Intéressant de constater que des bougies sont toujours fabriquées à Chazelles par Federal Mogul .
Bien sincèrement.
Henri Berthier