Une carte postale de Chazelles-sur- Lyon m’a toujours intrigué. Elle est liée au stand de tir du 103° Territorial.
Où se trouvait ce stand de tir ?
Il fallait qu’il soit en lieu sûr, au plus près de la nature pour pouvoir y trouver un caractère un peu sportif de l’accès et en même temps assurer la sécurité des habitants et utilisateurs. A Chazelles, il avait été décidé de le placer au « Goulet ». C’est un endroit de la commune situé près de l’Anzieux, au-delà de la Margassière, que l’on atteint par le chemin des Calles.
Qu’est ce que le 103° Territorial ?
Il s’agit d’un régiment de réservistes dont la base se trouve, pour ce qui le concerne, à Montbrison. Il a été créé à la suite des lois de 1872 portant sur les modifications de la situation ds hommes face aux obligations militaires, dans les suites de la défaite lors de la guerre de 1870, en particulier celle de Sedan.
Cette loi met en place les nouveaux principes de la réserve armée. Des nouvelles règles sont ainsi fixées:
-service national dans l’armée d’active porté à cinq ans, mais progressivement ramené à 3 ans
-puis quatre ans dans la réserve de l’armée d’active
et passage
– durant cinq ans dans l’armée territoriale et encore six ans dans la réserve de l’armée territoriale !
pour un total de 20 ans…! Et cela pour tous les citoyens. Reste cependant un tirage au sort annuel des appelés et concernant la durée du service national qu’ils doivent accomplir. Cela dépend aussi des contraintes budgétaires. En réalité, seuls 40% des appelés feront vraiment 5 ans.
Libérés des obligations de l’armée active, les hommes sont donc placés dans des unités territoriales, recomposées sur le modèle des unités de l’armée active, où ils continuent à s’entrainer au tir, aux parcours de campagne, aux efforts physiques. Ils sont entourés d’officiers qui coordonnent les activités.
L’ambiance du moment
Le traumatisme de 1870 a provoqué un véritable électrochoc national avec un désir de revanche insatiable. On veut récupérer l’Alsace et la Lorraine et manger “du Boche” (c’est le terme de l’époque). Tout est fait pour redonner de la vigueur à la nation. Les fastes du 2° Empire jugés responsables de cette défaite sont remplacés par le culte du corps et de l’esprit.
On crée des Bataillons dans les écoles qui jouent à la guerre avec des armes factices homologuées. Les Sociétés de gymnastiques prolifèrent comme celles de tir à balle réelle, souvent d’ailleurs mélées et dirigées ver le même esprit. C’est la création en 1886 de l’Union des Sociétés de Tir de France qui va regrouper ces dernières dans un organisme quasi gouvernemental. A la même époque, Pierre de Coubertin, rénovateur des Jeux Olympiques en 1896, inscrit le tir comme épreuve olympique. On est pourtant là dans un monde pacifiste! Ce sport et son stand où l’on y tire à l’arme de guerre (le Lebel 1886 modifié 89) deviennent vite le lieu de rencontre des politiques qui suivent un mouvement imprimé par la 3° République. On vient y recueillir les voix des électeurs potentiels?
Carabine Lebel
Le tir est d’ailleurs instrumentalisé par le politique et certains mouvements nationalistes notamment en France. Sous couvert de pratique sportive intense et totale, ces sociétés de tir sont aussi une préparation à la guerre en temps de paix.
Ainsi, au 1er janvier 1885, on compte en France 524 sociétés ainsi réparties:
-349 sociétés civiles.
-117 sociétés militaires.
-58 sociétés mixtes
Les femmes d’origine aristocratique sont aussi petit à petit conviées à rentrer dans ces cercles qui, inondés de subventions gouvernementales, organisent de grands concours dotés de nombreux prix.
un modèle de médaille offerte lors des concours. Les sculpteurs de ces trophées doublent en 30 ans!
Disposant de réductions importantes sur les trains dont les lignes prolifèrent, les sociétés voyagent et correspondent avec l’étranger. Cela fait bientôt 30 ans que l’on a plus de guerre en France vers 1900 mais qu’on prépare la suivante dans le divertissement.
Une baraque de tir forain
On commence même à tirer dans des baraques de forains aménagées en conséquence, lors des grandes vogues dans les villages.
Ainsi en 1900, toute la France tire au révolver, à la carabine et au fusil !…dans les foires, les stands, les ball-trap et à la chasse.
Sous couvert de sport et de divertissement, c’est en fait de l’entrainement armé et à la veille de la 1° guerre mondiale la France dispose d’une des plus puissantes armées de réserve du monde. Elle le montrera d’ailleurs avec ses régiments de réservistes trop vieux pour faire la guerre mais assez vigoureux pour fixer l’arrière des lignes de front et les défendre, établir les communications entre les différentes unités engagées à l’avant et payant aussi un très lourd tribut de pertes humaines. Le 103° a d’ailleurs participé dès 1914 à la protection de Lyon puis est monté au front en 1915 après une nouvelle campagne d’instruction à Sathonay ou à La Valbonne.
A Chazelles
On retrouve dans les recherches de nombreux noms de personnalités locales ayant participé à l’Association.
La société mixte de tir du 103° territorial apparait dans l’organigramme de la Société de Tir de France en mai 1896 avec comme président Jean-Marie Fayolle, alors maire de la ville.
La société existait auparavant puisqu’on trouve déjà à sa tête Eugène Provot en 1893. En 1901, le président se trouve être à nouveau le maire : Jules Ferrier. Le président d’honneur est alors le lieutenant Colonel Millet commandant du 103° territorial. On y retrouve des noms de chazellois anciens comme J. Gromollard neveu d’Alexandre Séon. La société très structurée comprend des officiers de tir, des directeur de tir et des commissaires. On tire à la carabine et au revolver.
D’un extrait de délibération du Conseil Municipal le 11 novembre 1900 on remarque:
“M. le Maire donne lecture d’une lettre de M.le Directeur de l’Ecole Communale exposant que jusqu’à ce jour, les élèves se faisant remarquer par leur assiduité et leur application au travail, reçoivent des bons points. Que ce genre de récompense pourrait être avantageusement remplacée par des tits gratuits à la carabine de précision. Ayant délibéré, le Conseil Municipal, prenant en considération tout l’intérêt patriotique qu’il y aurait à développer le goût du tir pour les enfants, décide qu’il sera fait l’acquisition d’une carabine et de munitions sur les crédits municipaux.”
Extraordinaire! Non?
En 1904, c’est à nouveau Eugène Provot, maire, qui est le président. A la vieille de la guerre en 1913 c’est Jean-Baptiste Dépaillat qui préside aux destinées de la société de tir S.A.G.
Le 103° territorial est donc devenu une société de préparation et de perfectionnement militaire. On sent,là aussi, les prémices d’un conflit à venir… !
Et en effet, la guerre arrive l’année suivante. On n’entend plus parler de stand de tir à Chazelles.
Les Chazellois se tournent-ils vers les boules après-guerre pour remplacer le tir?
C’est une hypothèse que l’on peut emettre. En 1922, les fédérations régionales du Rhône, du Dauphiné, de l’Ain, des deux Savoie, des Alpes-Maritimes et de la Loire, créées juste avant la 1° guerre mondiale, se regroupent sous l’appellation d’ « Union nationale des fédérations boulistes ». En 1933, cette UNFB devient la Fédération nationale des boules (FNB). En 1942, la FNB devient la Fédération française de boules (FFB). En 1946, la Fédération internationale de boules est créée et en 1957, la fédération française se rattache au Comité olympique francais, tout cela rappelant le regroupement progressif des association de tir décrites plus haut. Une chose est sure, ces associations boulistes notamment arrivent au bon moment pour redonner du liant à des populations traumatisées par plus de 4 ans de guerre avec plus de 1.600.000 morts et environ 4.200.000 blessés sur une population générale de 42 millions à cette époque.
Toujours est-il, en effet, que la vie reprend progressivement après cet épisode tragique et que de très nombreux Chazellois se tournent vers les boules, le football et le…théâtre pour recomposer un tissu social totalement détruit!
Depuis quelques décénies la boule lyonnaise montrait le bout de son nez. Les premiers concours étaient apparus en 1894 même si le Clos Jouve avait ouvert en 1850. Ce sport très social qui allie vitesse de course, rapidité d’esprit et précision devient vite le liant du chapelier. On y tire comme on y pointe. On se réunit et on chante en évitant Fanny. Le Clos Courage a ouvert ses portes en 1900. L’Amicale Laïque en 1920, à la sortie de la guerre, loue de son côté le terrain de Bras de Fer à la ville et y installe ses jeux de boules avec sa gymnastique et son football tandis que du côté des “calotins” (terme d’époque), on crée les mêmes sections de boules, de gymnastique et de football sur la route de Saint-Galmier au terrain paroissial.
Et ce n’est qu’en 1923 que Vincent Mille et Paul Courtieu inventent la boule métallique, en alliage de bronze d’aluminium, telle qu’on la connait aujourd’hui, remplaçant la boule lyonnaise cloutée.
On n’entend plus les détonations au Goulet. Elles sont alors remplacées par les applaudissements à Bras de Fer ou Jeanne d’Arc.
Si vous avez des informations complémentaires sur cette société chazelloise de tir, merci de nous les faire parvenir.