Non ce n’est pas la mer !
Si tout le monde connait Aigues-Mortes comme le seul port de la couronne de France créé vers 1241 par Saint Louis pour partir en croisade, Marseille appartenant aux Siciliens, c’est aussi une place forte des Templiers de Saint Jean en Provence quand Chazelles est une commanderie des Hospitaliers de Saint Jean de la province d’Auvergne à 300 kilomètres de la mer. L’Ordre de Saint Jean de Jérusalem est donc un point commun. La tour de Constance voulue par le roi Louis IX pour protéger son port a été construite et lui a été donnée par l’ordre des Templiers, à l’époque des Croisades, en échange du village de Saint Christol au-dessus de Lunel.
Cet ordre possédait aussi de nombreuses terres comme Listel ou l’étang de Peccais devenu plus tard, pendant un temps, une saline royale sous Philippe IV le Bel. C’est ce même roi qui d’ailleurs fit arrêter ensuite les membres de l’Ordre des Templiers de Saint Jean dès 1307 avec la bénédiction du pape français Clément V, installé à Avignon, pour les condamner au bucher, en interdire la structure et la priver à son profit de tous les biens, toutes dettes jugées très importantes vis à vis des Templiers étant ainsi annulée ! Certains biens, non conservés par le roi furent alors attribués à l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean. C’est ainsi que ces derniers, de la langue provençale, déjà installés à Saint Gilles mais aussi à Saint Jean de la Pinède près d’Aigues-Mortes purent construire le salin de Saint-Jean dans un étang jouxtant Peccais. C’est à cet endroit qu’on y construira plus tard un fort pour protéger les salines des contrebandiers qui tentent d’établir un marché parallèle du sel afin d’éviter l’impêt royal sur le sel créé par Philippe IV, le “Seigneur du sel”, en 1286 et imposé à tout le pays en 1342 par Philippe VI de Valois: la gabelle. Cette construction à la manière de Vauban, datant de la fin du XVI° et du début du XVII° siècle, en piteux état actuel, est aujourd’hui classée, ce qui permet au moins de la protéger.
Ainsi Aigues-Mortes, comme Chazelles, a eu son contingent d’Hospitaliers de Saint Jean très tôt. C’est autour des remparts que ces chevaliers ont créé au cours des siècles les salins, asséché les marais, créé les canaux, transformant ainsi des terres marécageuses et saumâtres en champs de sel : l’or blanc de la Camargue.
Amusant! La quantité de sel fabriqué dans le monde depuis le début de votre lecture
C’est dans des mêmes remparts que ces Hospitaliers de Saint Jean de la province d’Auvergne, appelés par le Comte de Forez au moment du Permutatio, ont probablement développé à Chazelles le feutre de poil d’origine animal, activité aujourd’hui disparue, mais qui a fait pendant un temps la fortune de cette ville. La technique pourrait avoir été amenée depuis l’Orient par ces chevaliers ayant fait les Croisades, imitant la production des ottomans.
Oui, c’est peut-être le chapeau !
Qui ne connait pas un gardian avec son Valergues, son Lunel ou son Cailar ? Qui ne connait pas Frédéric Mistral qui a immortalisé aussi le chapeau.
C’est un poète, qui, comme la plupart des provençaux, portait ce véritable vêtement pour se protéger notamment des rayons du soleil souvent très ardents. Qu’ils soient paysans, villageois, bourgeois, aristocrates, tous les hommes portaient chapeau, y compris les jeunes gens. Ces nombreuses industries chapelières aujourd’hui disparues existaient dans le sud. Fréderic Mistral se servait à Anduze chez Gallofre mais aussi à Meyrueis chez Veyrier sans avoir peut-être connu autre chose que le chapeau de feutre de laine. Qui sait cependant s’il n’a pas porté un jour un des fameux chapeaux de feutre de poil animal de Chazelles, un de ceux que Jeanne de Flandreysy, la languedocienne, a chanté pour lui (le «capèu» étant un élément du Félibrige) :
« Un jour, lorsque notre Temps sera devenu de l’Antiquité, les peuples diront : “Sur le front de Mistral, doux poète provençal, un grand oiseau noir, messager des Muses, vint se poser durant sa vie entière…».
Qui ne connait pas, non plus, Chazelles, cette ville qui fut une capitale mondiale du chapeau de feutre de poil animal immortalisé par Antoine Pinay et qui fabriquait par millions annuels des feutres destinés au monde entier. C’était alors aussi un sort réservé au Farlot ( cet homme du « nord », le chazellois, parlant le franco-provençal) : porter sa vie durant le feutre ou « chapiô (chapiau)».
Serait-ce aussi le flamant ou flambant rose ?
Que de cloches sont sorties des usines de Chazelles pour être prises en charge par les modistes, rajoutant plumes et aigrettes à la “Belle Epoque”! Le flamant rose n’échappa à cette mode avec son plumage rouge orangé. Son utilisation est aujourd’hui interdite et depuis 1981, date de la mise en protection de l’oiseau.
Mais la confusion peut aussi s’installer avec l’orthographe variable du mot : flamant mais aussi flamand. Le premier terme tient son origine du verbe flamber. C’est ainsi le flamant oiseau s’appelle aussi le flambant. Le second terme flamand est un adjectif qui désigne ce qui est relatif à la Flandre et à ses habitants. Son étymologie reconnue dérive de flâm : un endroit inondé, zone plus ou moins submergée et dont l’habitant est un flamand. Quelle est donc la différence avec la zone d’habitation du flamant ?
Bref, le flamand est aussi une variété de chapeau dont la cloche qui le forme a été montée avec des poils pour lui donner un aspect de fourrure obtenue par brossage du feutre à l’aide d’un carrelet correspondant à une brosse métallique ou dans une carreleteuse. Il faut savoir que la Flandre était avec l’élevage du vison un pays assimilé avec la fourrure, d’où l’appelation flamand. Il faut rappeler aussi que ce sont les huguenots flamands qui ont été très longtemps les maitres dans le feutrage du poil animal avec leur fameux «secret» qui n’était autre que le nitrate de mercure.
Epilogue.
J’avais promis à une scientifique camarguaise une petite page sur des relations pouvant exister entre Aigues-Mortes et Chazelles sans savoir d’où j’allais partir et où j’irai. Une histoire commune avec les Chevaliers de Malte m’en a donné l’occasion. On y retrouve ce génie humain capable à tout moment d’entretenir la vie avec du travail, des idées… et des histoires de chapeau qui ne manquent pas de sel. Je m’en suis bien sorti, je trouve, et j’ai de plus beaucoup appris. Et bien sûr, pour finir en comparant encore, le soleil se couche à Aigues-Mortes comme à Chazelles: à l’ouest !
Point de chute!
S’il vous arrivait un jour de vous intéresser à la Camargue et à ses flamants roses, je vous conseille vivement de contacter Anne-Sophie Deville, spécialiste du Phoenicopterus roseus (le flamant rose), docteur en science, passionnante et passionnée, qui vous fera découvrir une région que l’on croit connaitre (mais finalement très mal) dans un labyrinthe de chemins et de terres innondables aux mutiples couleurs qui vous emmerveilleront.
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