René Larue nous propose un texte écrit par son père, Jean Larue. C’est une page de l’histoire de Chazelles que l’on ne reverra plus, bien sûr, avec la disparition du service militaire. On retrouve trace des Bains/Douches publics que beaucoup de Farlots ont connu. Ils se trouvaient à droite de l’hôtel de ville, aujourd’hui remplacés par la salle du Conseil Municipal.
Une prérogative liée au rétablissement du Chef-Lieu de canton à Chazelles-sur-Lyon [1] fût d’assumer désormais le “Conseil de Révision” [2].
Cette formalité destinée à apprécier l’aptitude de jeunes hommes à l’obligation militaire [3] était considérée comme une étape importante de l’existence et déterminait le changement de vie temporaire mais total que constituait le “Régiment”.
Les jeunes d’une classe d’âge entière, de sexe masculin, étaient convoqués, après leur recensement obligatoire à l’approche de la 20° année, pour venir en Mairie du Chef-Lieu, subir les opérations du Conseil de Révision.
Quelle journée !…qui commençait pratiquement la veille car dès la création des “Bains-Douches” ceux-ci étaient ouverts spécialement pour un “décrassage” non obligatoire mais conseillé, la salle d’eau familiale étant encore au stade de l’utopie pour le Français moyen !
De bon matin, le jour “J”, arrivaient en premier les marchands de cocardes, rubans, installant leurs colifichets sur de longs panneaux autour de l’Hôtel de Ville et proposant avec insistance leur marchandise aux intéressés ! Car les jeunes commençaient à se montrer : les Chazellois, seuls ou en petites bandes – nombre d’entre eux s’étant “reblanchis” (endimanchés) pour l’occasion – ceux des communes voisines groupés et accompagnés par leur maire et leur garde-champêtre
Les “autorités” – allant parfois jusqu’au sous-préfet – étaient reçues par Monsieur le Maire et un peloton de gendarmerie rendait les honneurs.
Les jeunes, rassemblés dans une petite salle, se déshabillaient complètement – entassant leurs vêtements où ils pouvaient ! -…et débutaient les épreuves ! Des gendarmes en assuraient le déroulement, tout en essayant de faire cesser (en vain !) les rires et les réflexions graveleuses suscités par…l’ambiance !
Toise, pesée, tour de poitrine, capacité pulmonaire – car l’équation arbitraire et déterminante d’indice “Pignet” [4] était pratiquée :
TAILLE-(poids + tour de poitrine)=x (l’indice !)
Analyse d’urine sommaire (difficile parfois pour procurer…ou arrêter la marchandise au milieu d’une collectivité !) et passage devant un médecin qui après de rapides auscultations et vérifications corporelles rendait le verdict. A tour de rôle, les “candidats” entraient dans la grande salle de la Mairie (actuel lieu de vote) et debout, immobile, en tenue d’Adam devant tout l’aréopage régional rangé en demi-cercle, l’Apollon d’une minute écoutait l’énoncé de la sentence : Service armé – auxiliaire – ajourné – réformé…en somme, la séquence – apothéose de la « prestation » !
Puis c’était le rhabillage…
Après cette succession d’anatomies, les édiles pouvaient se targuer de “bien” connaitre leurs administrés !
Un petit temps libre pour s’accrocher la cocarde adéquate et commencer (ou continuer) d’ »arroser » copieusement l’opération : “Tu seras un homme mon fils”.
Puis la classe entière, joyeuse, se regroupait pour le “Tour de Ville” traditionnel, pendant que certains pouvaient encore marcher…droit !
Un ou deux tambours, embauchés pour la circonstance, devaient théoriquement donner la cadence de marche, mais la troupe, plutôt indisciplinée avait souvent tendance à brailler des rengaines de beuveries.
photographies de groupes chazellois après les conseils de révision à des époques différentes
Venait le moment du banquet – qui se déroulait dans un hôtel ou un café de la localité – suivant la tradition, les pères des jeunes gens étaient présents et festoyaient avec leurs rejetons. En fin de repas, à l’heure des chansons, les refrains de “corps de garde” (un aperçu du futur métier !) éclataient, repris en chœur ! Après tout, on est des hommes maintenant.
On se séparait dans la soirée, beaucoup continuaient la “fiesta” toute la nuit…et quelques-uns…plusieurs jours !… !
Plus tard, pour ceux qui avaient été “pris”, arrivait l’ordre de départ au “Régiment”. C’était plus sérieux – mais c’est une autre histoire…car cela aboutissait souvent à participer à l’Histoire elle-même…
Le Conseil de Révision, formalité qu’on avait peu à peu teintée de folklore, disparut au cours des années 60 et fut remplacé par les “3 jours” que nos jeunes conscrits effectuent très anonymement dans un centre militaire [5].
L’Armée étant la “Grande Muette”, nous allons suivre son exemple en terminant ici cet article. Enfin “La Quille” dira le lecteur patient qui a pu arriver jusqu’à la fin de cet exposé.
Jean Larue
Retrouvé dans un petit journal écrit par des Chazellois pour leurs amis sous les drapeaux, au cours de la guerre d’Algérie: “LE CANARD FARLOT”, le compte rendu du possible dernier Conseil de révision qui s’est tenu au chef-lieu du Canton de Chazelles le 15 février 1962, il y a donc plus de 5o ans. Il concernait la classe 1963. On y retrouve la description de l’entourage militaire, administratif et médical important qui accompagnait cette épreuve de la vie citoyenne. C’est l’occasion aussi de rappeler certaines figures de la vie politique de Chazelles et son canton au milieu du siècle dernier.
[“87 jeunes gens des communes du canton de Chazelles et appartenant à la classe 1963 se sont présentés jeudi matin 15 février, au Conseil de Révision, que présidait M. Mouret, sous-préfet de Montbrison, en présence de MM. Gilbert, secrétaire en chef de la sous-préfecture, Champier et Chouvelon, conseillers généraux, Armand Bazin, maire de Chazelles, Jouffraix, adjoint au maire, les maires des communes du canton, le colonel Paris de Bollardière, le médecin-commandant Flachaire, le commandant Martel, représentant le colonel Vignon, commandant la subdivision, le médecin-capitaine Cioppani, le capitaine Vieille, commandant la section de gendarmerie de Montbrison, l’adjudant Heurtier, chef de la brigade de Chazelles, etc. M. Max Fléchet, conseiller général du canton s’était fait excuser. Par un froid vif et sous la neige, les conscrits eurent beaucoup de peine à se réchauffer en attendant d’être appelés, tandis que le détachement de gendarmerie qui devait rendre les honneurs, montra beaucoup de stoïcisme devant l’inclémence du temps. La plupart des jeunes gens des communes du canton rejoignirent leurs villages respectifs dès la fin des opérations. Quelques-uns pourtant déjeunèrent au chef-lieu de canton. Les Chazellois, quant à eux, après le traditionnel tour de ville, rejoignirent l’hôtel de la Coise où M. Roche leur servit un excellent menu. Le repas officiel eut lieu à l’Hôtel de France. La classe 1963 est maintenant bonne pour le service. Ses conscrits ont accompli un grand pas dans la vie et dès la fin de l’année, certains d’entre eux seront appelés pour remplir leurs obligations militaires. Comme ses devancières, la classe 1963 “ne périra pas”.”]
[1]Le canton de Chazelles-sur-Lyon a été crée par une loi du 02 Juillet 1925, par démembrement partiel du canton de Saint Galmier qui comprenait alors 21 communes
[2] Création des Conseils de révision en 1804 par Napoléon 1° et sous la forme décrite en 1913
[3] Le service militaire pour tous a été définitivement instauré, après de multiples réformes ou modifications, en 1907 par Maurice Berteaux, ministre de la Guerre, ancien maire de Chatou où il est enterré. Il a été supprimé en 1996 par Jacques Chirac, alors Président de la République).
[4] L’indice de Pignet date de 1901. Il a été remplacé par le SIGYCOP avec le développement des Centres de sélection :INTERPRETATION DES RESULTATS:
a) de 0 à 15: apte à tous travaux;
b) de 15 à 25: apte aux travaux moyens;
c) de 25 à 35: apte aux travaux légers;
d) de 35 et plus: inapte.
[5] En juillet 1965 disparition du conseil de révision au profit des centres de sélection.