La menuiserie Néel
L’histoire de la menuiserie Néel commence avec Jean-Marie Néel né en 1884. On pourrait parler de saga des Maye (diminutif prononciatif patoisant de Jean-Marie : le « han ma- hi » devient « le ma-ye ») puisqu’elle a duré au moins trois générations dans le bois avant de s’orienter avec les difficultés du moment vers des matériaux modernes comme le PVC ou l’aluminium.
Jean-Marie Néel s’installe menuisier, charpentier en 1909 à Chazelles. Ce farlot est marié à Catherine Guillot, qui est native de La Chèvre. Ce couple est installé dans la rue du Fumont au-dessus des usines Provot vers l’usine Rully. La petite maison comporte des appartements à l’étage et un atelier au rez-de-chaussée. Elle restera ainsi composée jusqu’à aujourd’hui où l’on peut encore la voir avant qu’elle ne soit bientôt démolie. Jean-Marie qui a le surnom de Maye travaille beaucoup pour le bâtiment, crée fenêtres, portes, parquets, escaliers et charpentes mais n’est pas absent des travaux à effectuer pour les machines de chapellerie. En 1914 à l’âge de 30 ans, il est appelé sous les drapeaux : c’est la grande guerre de 1914-18 et il monte au front comme tous les soldats. Il gardera toujours un souvenir horrible de cette période de sa vie, loin de son épouse et de ses enfants. Il revient à Chazelles à la fin du conflit : blessé, gazé et dépité. Le couple a eu 3 enfants : deux garçons dont l’ainé Henri, né en 1909, puis un petit frère que le père, Jean-Marie, ne connaitra pratiquement pas, mort tout jeune pendant la guerre d’une diphtérie, et une fille qui se mariera plus tard avec le fils d’un vitrier de Feurs (Melon) et qui travaillera plus tard chez Maitre Paradis, notaire de Chazelles. La menuiserie fonctionnera toujours à plein, nécessitant l’emploi plus ou moins important d’ouvriers. Il faut aussi noter que Jean-Marie avait fait, au début du siècle dernier, le tour de France du Compagnonnage comme charpentier, passant ainsi d’aspirant à maître.
Le fait marquant concernant Jean-Marie, en dehors de son activité professionnelle, reste son engagement fort dans la compagnie des sapeurs-pompiers de sa ville dont il deviendra le chef de corps, capitaine en 1914, et pour de nombreuses décennies. On le voit ainsi défiler en 1936 sur le boulevard du Sud (Etienne Peronnet) passant devant la tour de l’Hôpital en face de l’ancienne usine de chapeaux Prat-Depaillat, devenue Patay et Samov (vouée bientôt à la démolition totale). C’est lui qui coordonne les secours pour l’extinction de l’immense incendie de la maison Lhopital sur la rue des Portes, jouxtant l’usine de chapeau Desage sur la rue Caderat en mai 1945 (?). Il est décédé en 1953.
Henri, son fils ainé, né comme on l’a vu en 1909, travaille très tôt avec son père. Il est de santé fragile car il garde des séquelles cardiaques d’une mauvaise scarlatine, ce qui ne l’empêche pas de fréquenter l’atelier et de travailler dur. Mais il est aussi très vite attiré par le théâtre et se passionne pour le métier d’acteur au sein du Groupe Artistique de la Vaillante (VESC) qui joue à la salle Jeanne d’Arc, créé en 1923 par le chanoine Planchet. Il y a dans cette troupe, autour de Victor Berne, à partir des années 1928/29: notamment Jean Rigaud, Armand Loumès, Jean Bayard, Jean Villard « Nanno », E. Pichoire, Jean Bruyère, André Rousseau, « Mami » Bruyas, Antoine Odin « Lapode », « Nanès » Néel, André Pupier ou Marie-Louise Berne…(que ceux qui ont été oubliés soient signalés) On y joue des pièces « sociales » comme Notre Dame de la Mouïse, Chantepie, Les Mystères de Noël… Il conservera cette passion pour le théâtre. On le retrouve en 1945 avec beaucoup de ces mêmes acteurs dans la pièce Bibi, une suite de Notre Dame de La Mouise. Puis ce sont: l’Aiglon, Les trois Mousquetaires, Cyrano…, activité qu’il arrêtera vers 1960.
Beaucoup des membres de cette troupe se retrouvaient déjà dès 1923 dans l’équipe de football de La Vaillante créée en 1908 par le même Victor Berne et réactivée après la guerre avec l’obtention du terrain de sport attenant à la salle Jeanne d’Arc ou Maison d’œuvres : il est excellent gardien de but. Il a été appelé au service militaire en 1929 et a été incorporé dans la marine où il travaille comme charpentier. Le “métier” lui plait énormément. Cette nouvelle passion remonte jusqu’à Chazelles où, en permission, il apprend à ses copains la chanson « C’est nous les gars de la Marine… » que la petite troupe chante alors en chœur. Il remonte finalement à Chazelles à la demande pressante de son père qui veut assurer pour plus tard la pérennité de sa petite entreprise. Il secondera puis poursuivra ainsi à Chazelles le travail de Jean-Marie en orientant un peu plus l’activité vers l’entretien dans les usines de chapeau : reprise des formes abimées, entretien des fouloirs et de leurs maillets notamment. Il devient ainsi le menuisier des maisons de chapeaux Beyron, Desage ou Bouteille. Il développera aussi, comme dans les autres menuiseries, l’activité funéraire avec la confection des cercueils. Henri s’est marié en 1934 avec Marthe Berger, son amie de cœur depuis quelques années. Le couple a eu cinq enfants. Marthe n’aura pas cessé son métier de chapelière qu’elle occupe dans la maison Pupier-Peronnet. Elle en a modifié le poste puisqu’elle travaille désormais à la maison, s’occupant de la garniture des chapeaux : pose de la coiffe intérieure et du galon notamment. Elle termine ainsi chaque jour une douzaine de chapeaux qui lui sont apportés puis repris. C’est dans cette ambiance de travail qu’ont grandi Jean né en 1935, puis Ninette (Marie-Antoinette), Marie-Claude, Bernard et un peu plus tard Michel. Henri meurt en 1977 à l’âge de 79 ans des suites de sa lésion cardiaque ancienne.
L’ainé des enfants d’Henri, Jean, commence très tôt à aider son père. Dès la fin de la scolarité obligatoire, à 12 ans, il rentre à l’atelier pour participer aux différentes activités. Notons qu’il a connu dans son enfance cette occupation allemande « douce » de la ville qui n’en était pas moins parfois apeurante. Il conserve ce souvenir “d’invasion” de l’atelier paternel, réquisitionné un jour par les hommes de la Luftwaffe pour usiner des pièces de bois avec les scies à rubans. Il y avait alors un soldat armé qui surveillait la rue du Fumont et un autre près de l’allemand qui travaillait. A 20 ans Jean est appelé sous les drapeaux. Il part faire 4 mois de “classes” puis rejoint le théâtre des combats en Afrique du Nord: on est en pleine guerre d’Algérie. Il y reste jusqu’en novembre 1958 où il rentre au pays et se marie avec une demoiselle Chillet de Saint-Symphorien (encore un couple farlot-pelaud). Il a repris sa place dans l’entreprise familiale poursuivant l’activité paternelle en amplifiant le travail de menuiserie demandé par les chapelleries. Tout en assurant le travail nécessaire notamment chez Beyron, il devient menuisier de la maison Ecuyer où il remplace Joseph Menard disparu. Il assure aussi l’entretien chez KLG. Jean ne fera ni de football, à la demande de son père pour éviter les accidents, ni de théâtre, mais s’adonnera au sport favori des Farlots : les boules. Comme beaucoup d’artisans de la ville, il va subir de plein fouet le crise de la chapellerie avec la disparition dès 1960 des petites usines, puis la fermeture de la SIC en 1976, structure de sauvetage des chapelleries France, Morreton, Fléchet et Beyron réunies et créée en 1966-67.
Aujourd’hui Jean est un retraité apaisé, content d’avoir pu réaliser de belles œuvres, d’avoir vécu les belles années de la chapellerie, celles où chaque petit farlot apprenait dès son plus jeune âge, la célèbre phrase décrivant ce pays « fabuleux » : « 27 usines, 37 cafés ». Des belles réalisations personnelles restent visibles. Ce sont notamment les portes intérieures de l’église, les confessionnaux réalisés pour ce même sanctuaire. Il a eu sa part d’activités merveilleuses quand il s’agissait, tous les ans, le 8 décembre, de fixer une croix lumineuse en contre-plaqué au clocher. Elle restait ensuite le temps des fêtes de Noël au sommet de l’église. L’entreprise était aussi périlleuse: il fallait la monter par un vasistas pour l’assembler et la fixer à la croix métallique permanente: un travail où le vertige n’avait pas de place. Cette ascension annuelle, il la réalisait avec Marius Gonon, le «Mouzou» employé de l’entreprise d’électricité Ressicaud, décédé il y a peu.
Merci à Jean Néel de nous avoir ouvert sa maison et confié ses souvenirs.
On entrevoit dans les sujets abordés, au moins deux thèmes importants de la vie de Chazelles que nous aborderons bientôt : le théâtre et la place qu’avait cette activité à Chazelles entre La Gerbe artistique et le Groupement artistique de la Vaillante, le corps des sapeurs-pompiers de la ville.
Publié avec l’autorisation de Jean Néel.