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Maurice Vial, heureux retraité, qui vit depuis plus de huit décennies autour du clocher de Chazelles, a bien voulu nous raconté l’histoire de cette menuiserie créée en 1929 et qui a fermé définitivement en 2000. Cette page nous rappelle à nouveau les liens étroits qui existaient entre l’industrie du chapeau et les autres corps de métiers nécessaires à son bon fonctionnement : ateliers de mécanique, menuiseries, maçonneries, approvisionnement en produits chimiques notamment.

L’HISTOIRE

François Vial nait à Montverdun en 1898. C’est le 3° d’une famille de 11 enfants dont un mourra très jeune. Son père est tréfileur et fabrique des clous dans un moulinº installé sur le Lignon de Boën. Peut-être aura-t-il fabriqué ses armes car il est très doué en escrime !

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Diplome de prévot d’escrime de Claude Vial, tréfileur, père de François et Michel

La famille est pauvre et ne goute la viande de bœuf que trois fois par an : à Noël, à Pâques et la Toussaint. Le reste du temps on mange du pigeon, du lapin domestique, de la poule et du lapin de garenne pris au collet ou du poisson pris à la main. Très jeune, François est placé comme pâtre dans une des grandes fermes de la plaine entre Pâques et la Toussaint. Il fréquente l’école pendant les mois d’hiver où il apprend à lire et à écrire. La vie à la ferme y est encore plus dure qu’à la maison : il doit voler les patates des cochons pour se nourrir. Son père lui trouve une place d’apprenti chez un menuisier de Boën quand il a 12 ans. Il y reste jusqu’à sa mobilisation en 1917.

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livret milataire de François Vial et Instrctuin pour le cavalier en campagne

On est alors en pleine «Grande Guerre» et il est envoyé en période préparatoire à Vienne en Isère dans un régiment de hussards. Il est affecté ensuite à Vitry-le-François. A la fin de la guerre il est envoyé au 6° régiment de dragons qui va occuper la Sarre.

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François chez les Hussards, puis les Dragons pendant la 1° guerre mondiale

Il est libéré en 1920 après 3 ans passés sous les drapeaux. Il rentre au pays et travaille à la menuiserie Martin de Saint-Etienne où il devient spécialiste de la fabrication d’escaliers. Il suit pendant toute cette période des cours du soir à l’ “Ecole régionale des arts industriels”ºº pour apprendre le dessin industriel. Il part en 1925 à Roanne puis est embauché en 1927 à Montrond-les-Bainsººº. C’est l’époque où la chapellerie Fléchet est en train de construire une nouvelle usine ainsi que la cité des 50 maisons qui s’y associe. Il y est chef de chantier. Il se marie en 1927 à Briand près de Digoin en Saône et loire.

Benoit Fléchet, le patron chapelier pour qui les travaux sont faits, le repère rapidement et lui demande de monter à Chazelles qui manque cruellement de charpentiers et menuisiers. Il a connu sur le chantier Jean Pierre Crozet, maçon sur le même chantier à qui l’industriel fait la même proposition. Les deux montent en même temps à la capitale des chapeau. Pendant que l’un monte son entreprise de maçonnerie, notre menuisier commence d’abord chez un artisan de la rue Marthouret puis très vite, en 1929, il se met à son compte avec son frère Michel né en 1904, de 6 ans plus jeune.

Tandis qu’ils louent un atelier situé au fond de l’impasse Paparelle à l’endroit exact de l’ancienne tour Jean Besson, partie de la muraille primitive du Chazelles médiéval, il leur faut trouver de l’argent pour acheter des machines car le fond qu’ils ont racheté n’a qu’une petite scie à ruban. Ils font le tour de la famille pour pouvoir satisfaire leurs besoins. L’atelier reste la propriété de la famille Delay, anciens chapeliers à Chazelles dont un fils Paul habite Arnas et possède un magasin de chapeaux à Villefranche. C’est d’ailleurs son beau-père qui a cédé la menuiserie. La menuiserie Vial restera toujours locataire des lieux jusqu’à son départ en 1988.

Cette petite entreprise va vite prendre de la dimension et comprend bientôt 8 ouvriers dont 3 ébénistes et des charpentiers. Il vont participer très vite aux gros chantiers du moment dont celui de la Caisse d’Epargne, succursale de celle de Montbrison, celui de la cité Morreton construite dans le cadre la loi Loucheur, la villa Robert, la villa France, la restauration de l’hôpital avec la création de la maternité, etc…

Maurice nait le 5 août 1930 et suit sa scolarité à l’école publique de Chazelles avec Madame Collomb ºººº et Mr Sainrat,

 

 

 

 

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Pierre Colomb est en bas à gauche. La scolarité à l’école publique, Rue Tourteron, avec Mme Colomb et Mr Sainrat de la maternelle en1940

puis part dès 1941 jusqu’en 1945 pensionnaire à Notre-Dame de Valbenoite à Saint-Etienne.

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A Notre-Dame de Valbenoire (Saint-Etienne) chez les Frères Maristes

Il a appris le catéchisme avec Pauline Juillet (future épouse Vernay). Il a vu construite la grande maison, place Poterne, par l’entreprise Crozet dans les années 1935/36. La menuiserie était réalisée par la maison Juillet, co-promoteur avec Victor Berne et Maitre Paradis.

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la “grande maison” Place Poterne construite entre 1935-36

Son oncle Michel, ainsi que de nombreux ouvriers de la maison Vial, sont mobilisés en 1939 (Joseph Ménard, notamment, est fait prisonnier et à son retour travaillera pour la chapellerie Ecuyer). Il faut trouver des menuisiers pour continuer à faire tourner l’entreprise. François Vial embauche le « père » Coudour. Michel, vite démobilisé, revient rapidement à la menuiserie et les années d’occupation sont consacrées à la réalisation de travaux courants d’entretien dans les maisons et usines. La reprise de l’activité se manifeste à partir des années 1950 et la menuiserie Vial travaille pour les nombreuses chapelleries qui n’ont pas leur propre menuisier (par exemple les maisons Fléchet, Ecuyer ou France ont un menuisier).

Maurice a quitté Valbenoite en 1945 et est rentré au lycée professionnel Etienne Mimard jusqu’en 1948 puis il travaille en menuiserie à Saint-Etienne-Bellevue jusqu’à son appel sous les drapeaux en 1950 où il est envoyé à Vienne en Autriche, capitale alors occupée comme Berlin par les armées alliées: Angleterre, URSS, France et Etats-Unis.

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Maurice Vial au milieu en blouse blanche d’infirmier

Il passera son service militaire à l’hôpital militaire où il acquiert un diplôme d’infirmier et est en poste comme aide-radiologue à une époque où la physiothérapie (ondes courtes, ultra-sons, ultra-violets…) fait fureur. Il est chargé d’appliquer les traitements. Il rentre en France en 1952.

A son retour les deux frères François et Michel se sont séparés et chacun dirige sa menuiserie au même endroit. Maurice va aider son père qui meurt en 1959 à 61 ans.

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Maurice Vial, menuisier

En 1953 les deux entités ont acheté un entrepôt, derrière le boulevard du Nord sur la rue Provot, appartenant au chapelier Emile Rivoire, qui avait abrité autrefois l’usine de chapeaux Pluvy (Margot) puis le dépôt de produits chimiques destinés à la chapellerie tenu par la maison Marius Vicard de Montbrison. Il consistait en un bâtiment couvert de 300 m3 pour l’entrepôt du bois et une cour de même surface. Cet ensemble a été revendu en 1999 à l’imprimerie Beyron qui est attenante.

Les entreprises vont continuer à travailler ensemble sur les mêmes machines avec le même stock mais des clientèles différentes. Michel va travailler jusqu’à sa retraite en 1970, il sera secondé par son fils Roger, un cousin de Maurice, à partir de 1962.

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l’ancienne menuiserie Vial, à l’emplacement de la Tour Jean Besson

Maurice poursuivra son activité jusqu’en 1988, date à laquelle les menuiseries sont transférées rue Grand-Croix à la ferme Crozier (Bretelles), propriété du grand-père maternel de Roger dont une partie du toit s’était effondrée et qui avait été transformée en atelier. Roger continuera son activité jusqu’en 1990, date de la mort de son père. il revendra alors la menuiserie.

EPILOGUE

Histoire toute simple qui nous apporte tout de même beaucoup de renseignements souvent oubliés tels que la cité et l’usine Fléchet à Montrond-les-Bains / Saint-André-le-Puy, la cité Morreton à Bras-de-Fer, la construction de la Grande Maison, place Poterne qui a remplacé la « grande tour du château, sans oublier Emile Rivoire, le chapelier de la Ramousse, la vieille usine de chapeaux Pluvy, la droguerie industrielle Vicard de Montbrison qui alimentait en produits chimiques toutes les chapelleries et bien d’autres choses encore.

Petite histoire comme nous aimerions beaucoup que l’on nous en raconte d’autres. Ce patrimoine humain est trop important pour qu’il disparaisse sans traces. Il faut le recueillir très vite et l’écrire.

Merci à Maurice Vial de nous avoir ouvert sa porte et confié ses souvenirs. Il ne faut pas qu’il soit le seul.

publié avec l’autorisation de Maurice Vial

 

ºA cette époque les fenderies, tréfileries et clouteries notamment  utilisaient l’énergie hydraulique dont des marteaux appelés martinets.

ººCette école de dessin a ouvert en 1857. Elle devient “Ecole régionale des arts industriels” en 1884, puis  ” Ecole régionale des beaux-arts” en 1922. C’est depuis 2006, l’École supérieure d’art et design.

ºººEn 1927, l’entreprise Fléchet de Chazelles implante une usine de chapellerie à la limite des communes de Saint-André-le-Puy et Montrond-les-Bains. Le site emploie alors 150 ouvriers pour fabriquer des cônes de feutre. Les contremaîtres, venus de Chazelles, étaient logés dans une cité construite à proximité, sur la commune de Montrond.

ººººLe fils de Mme Colomb est mort sur le torpilleur “Siroco” en rade de Dunkerque le 31 mai 1940. Le bateau commandé par le neveu du peintre Toulouse-Lautrec, Guy de Toulouse-Lautrec, est torpillé alors qu’il évacue des troupes françaises et alliées coincées dans la poche de Dunkerque. Il a déjà fait des voyages. Les chazellois Pierre Marie Colomb et Maurice Blanchard, fils du chapelier, sont sur le bateau qui, coupé en deux, va couler. Ils disparaissent. Il y aura 680 morts avec de nombreux ligériens et alti-ligériens et 270 rescapés . Ces deux enfants de Chazelles sont inscrits sur le monument aux Morts de la ville.

ººººº Marius Vicard fut conseiller général du canton de Monbrison entre 1949 et 1967.