Photo de François Jacquemond, prêtre "convulsionnaire".

François Jacquemond

François Jacquemond prêtre et « convulsionnaire » (1) est né à Boën sur Lignon en 1757 et mort à Saint Médard en Forez en 1835.

Il est d’abord scolarisé chez les Oratoriens à Montbrison, puis il étudie la psychologie chez les Dominicains et ensuite la théologie au séminaire Saint Irénée, puis Saint Charles à Lyon.

Au 17ème siècle se développe le Jansénisme, mouvement religieux né en réaction à certaines évolutions de l’église catholique (le « laxisme » des Jésuites, le pouvoir trop grand du Saint- Siège). Le pape Clément XI publie en 1713 la bulle Ugénitus, très sévère à l’égard des Jansénistes. Quatre évêques lancent un appel à la réunion d’un concile général sur la question de cette bulle, ce sont les « appelants ». Le pape excommunie ces évêques.

Le mouvement religieux qui s’oppose à la répression contre les « appelants » se double aussi d’un aspect politique marqué par l’opposition à l’absolutisme royal. Ainsi, les clercs soutenant la Révolution française et la Constitution Civile du clergé sont, pour une grande part, Jansénistes. En 1722, le Régent remet en vigueur l’obligation de signer un « Formulaire » pour obtenir des bénéfices ou des grades universitaires.

A la veille de la révolution, on estime à 4 000 personnes le groupe janséniste forézien autour de Saint- Etienne. On ne demande pas à François Jacquemond de signer le « Formulaire » avant son ordination. Il devient curé de Saint Médard en 1784. 

Quelques années avant l’ordination de François Jacquemond, un diacre parisien, François de Pâris (ou François Pâris) prend le parti des « appelants » jansénistes. Il refuse de signer le « Formulaire » exigé, donc il ne peut plus exercer son sacerdoce. Il se retire dans une petite maison d’un faubourg de Paris, où il mène une vie très austère, s’imposant jeûnes et mortifications. Il meurt d’épuisement en 1727. On le considère alors comme un saint. Les Jansénistes viennent se recueillir au cimetière Saint Médard à Paris où il est inhumé. Des illuminés entrent en convulsions sur sa tombe et font des prophéties : ce sont les « convulsionnaires » de Saint Médard. On rapporte un si grand nombre de miracles réalisés là que l’Église s’émeut. Une commission d’ecclésiastiques juge les miracles illusoires, mais l’enthousiasme persiste. Le pouvoir royal ferme le cimetière en 1732 (2). Un écriteau ironique est posé à la porte du cimetière :

« De par le Roi, défense à Dieu

De faire miracle en ce lieu »

Le mouvement se développe en province.

François Jacquemond, bien que figure marquante de ce mouvement, semble avoir été modérément « convulsionnaire ». Autour de sa paroisse, il crée des réunions d’ « Amis de la Vérité », où se rencontrent les fidèles qui vénèrent le diacre Pâris. La présence de « visionnaires » pendant ces séances n’est pas rare.

D’autres groupes plus « radicaux », comme celui de Saint-Jean-Bonnefonds, existent dans la région.  A Saint-Genest-Malifaux, la Garde Nationale arrête une troupe de 43 personnes (hommes, femmes, enfants), portant quelques armes…et des hosties. Un autre groupe, formé d’une quarantaine de personnes voulant gagner la Terre Promise, est arrêté à Tarentaise (quartier de Saint Etienne) ; une dizaine de personnes, dont la moitié d’enfants, est arrêtée dans un autre lieu.  Tous prétendent s’appeler « Bonjour » du nom des frères Claude et François Bonjour.

Ces frères Bonjour ont été formés, comme François Jacquemond dans les séminaires jansénisant de Lyon.

Claude Bonjour est d’abord professeur de théologie au collège Saint Charles à Lyon puis curé à Saint-Just-Les-Velay. Il se fait chasser de cette paroisse en 1774. Il arrive alors au nord de Lyon, à Fareins, commune de l’Ain, où il est rejoint par son frère François. Ils organisent des réunions pour former et informer leurs disciples. Mais, contrairement à François Jacquemond, ils prodiguent aussi des « grands secours », les séances sont l’occasion de « conversations avec les anges », de visions…de « percements de pieds à l’aide de petits couteaux » ! En 1787, François Bonjour crucifie, avec son consentement, Etiennette Thomasson, une des prophétesses du village, dans l’église paroissiale. Il est arrêté et détenu dans le monastère de Tanley, en Bourgogne. Son frère doit quitter le village. François Bonjour profite de la Révolution française pour revenir à Fareins.

A la Révolution, les « convulsionnaires » ont des attitudes variées. Certains, comme les adeptes des frères Bonjour, adhèrent pleinement aux idées révolutionnaires. A Saint Jean Bonnefond, le curé « convulsionnaire » Drevet félicite les enfants qui chantent la Carmagnole.

En 1791, François Jacquemond prête serment à la Constitution Civile du Clergé, mais en 1794 il se rétracte et devient prêtre réfractaire. En 1798, il passe plusieurs mois en prison car il a refusé de prêter le serment de « haine à la royauté » exigé des citoyens. Il accepte le Concordat (3) de 1801 en arguant de la nécessité de retrouver une paix religieuse après la Révolution, bien qu’il reproche au Pape d’outrepasser ses droits. Il devient alors le chef de file des « convulsionnaires communicants » Il refuse toujours de signer le « Formulaire » lorsqu’on le lui demande à nouveau après le Concordat. En 1803, le cardinal Joseph Fesch le remplace par Joseph Barou.

Il s’installe alors dans l’école qu’il avait créée avant la Révolution à Saint-Médard-en-Forez.; certains de ses paroissiens lui sont toujours fidèles. Il étudie et publie des ouvrages et correspond avec les groupes jansénistes de toute la France.

Lorsque François Jacquemond meurt en 1835, le curé du village lui refuse les sacrements. C’est un prêtre ami qui les lui administre secrètement. Mais il n’y a pas de service religieux car le curé a fait fermer l’église paroissiale. Sa tombe est toujours visible dans le cimetière de Saint-Médard-en-Forez. Elle serait régulièrement fleurie.

Tombe de François Jacquemond à Saint-Médard en Forez

Tombe de François Jacquemond à Saint-Médard en Forez

Les frères Bonjour, eux, curés à Fareins, sont à nouveau arrêtés puis relâchés plusieurs fois à partir de 1791. La « citoyenne veuve » Bonjour, leur mère, a d’ailleurs écrit au « Citoyen Représentant Javogues », figure marquante de la Révolution originaire de Bellegarde-en-Forez.  Elle lui demande de libérer son fils Claude pour « la soulager dans sa vieillesse, toute sa famille composée de vrais sans-culottes qui réside dans cette commune, le demande aussi ». (La commune en question est Pont d’Ain, proche de Fareins).  

En décembre 1791, François Bonjour part à Paris avec sa femme Claudine Dauphan et sa maîtresse Benoîte Monnier. Claudine Dauphan donne naissance à un garçon, Elie, qui doit être, d’après un ange apparu à la future mère, un « Prophète » annonçant des « temps nouveaux ». Benoîte Monnier, elle, accouchera de jumeaux dont un seul survivra.   François Bonjour et sa femme ont 9 enfants.

En 1805, ils sont écroués ; leur fils Elie, 13 ans, est placé à l’hospice. Libérés, les Bonjour s’exilent en Suisse avec leurs enfants. En 1811, François Bonjour envoie son fils Elie (19 ans) à Paris. L’année suivante, Elie épouse Marie Collet, la fille de son patron, fabricant de taffetas. Il fera carrière dans le commerce et ne sera pas prophète !

Cependant, l’« œuvre convulsionnaire » a toujours des prolongements à l’heure actuelle. En effet, en 1819, un des adeptes des frères Bonjour, Jean-Pierre Thibout, fonde la Famille en mariant ses enfants à ceux d’un ami François Havet. Ce mouvement perdure encore aujourd’hui et ses membres vénèrent toujours le Prophète Elie, attendant son retour censé annoncer la fin des temps.

C’est l’un des « Grands Anciens » de la Famille, Auguste Thibout, surnommé encore aujourd’hui « mon oncle Auguste », qui va codifier les pratiques du groupe. En 1892, il ferme la Famille au reste du monde et en interdit l’entrée à toute personne extérieure.

En 2020, la Famille comptait environ 3000 personnes habitant presque toutes dans trois arrondissements de l’est parisien. Ces personnes sont issues de huit familles dont les membres se marient entre eux, le mariage étant strictement interdit avec une personne du monde extérieur, sous peine d’être exclu de la Famille. D’après un témoignage, « si on part, le groupe va faire corps contre vous et ne plus vous fréquenter ». Comme il y a beaucoup d’entraide dans le groupe, il est extrêmement difficile de le quitter et se retrouver seul, ne plus voir ses parents, ses amis. Aussi, certains membres du groupe, qui ont essayé d’en sortir, y reviennent au bout de quelques temps.

Les familles ont beaucoup d’enfants (jusqu’à dix-huit parfois). Ces enfants ne restent jamais seuls, car « seul, on pense trop ». Ils fréquentent en général l’école publique. Seuls les traditionnalistes scolarisent leurs enfants à domicile, les « tantes », des femmes célibataires du groupe, leur font la classe. Mais à l’école, les enfants restent surtout entre eux, ils sont peu présents à la cantine ou aux sorties scolaires. Ils ne peuvent pas aller jouer chez un ami ni en inviter à la maison. La communauté est très tournée vers les enfants qui peuvent s’y épanouir, mais il y a un véritable contrôle social, il faut « suivre les rails ».

Les membres de la Famille ne sont pas figés dans le temps et ont accès aux technologies modernes. Certains ont eu des comptes sur les réseaux sociaux, mais quand un article du Parisien parlant de la Famille est paru en juin 2020, ça a été un choc pour eux, tous les comptes sont passés en privé. La médiatisation a accentué leur repli sur le groupe.

Dans le domaine du travail, les hommes ne doivent pas avoir des postes à responsabilité, « certaines professions leur sont interdites, comme la magistrature ou les métiers de la santé ». Les femmes, quant à elles, « ne sont pas censées travailler », elles doivent s’occuper des enfants. Elles peuvent effectuer des travaux de couture ou parfois avoir un petit emploi dans un commerce du quartier.

Les membres des huit familles d’origine se mariant entre eux depuis 200 ans, il en résulte beaucoup de maladies dues à la consanguinité : beaucoup d’enfants naissent avec des handicaps ou avec le syndrome de Bloom, prédisposant à de multiples cancers. Mais ces maladies sont vécues comme la volonté de Dieu car les membres de la Famille croient à la prédestination.

Les membres de la Famille sont liés par la religion, mais ils la pratiquent entre eux. Ils ne se considèrent pas comme catholiques, mais comme les « vrais croyants », face une Eglise qu’ils estiment dévoyée. Le monde extérieur est appelé « la gentilité réprouvée ». Chaque père est son propre prêtre, une partie des cérémonies, dont le baptême, se déroule à la maison. Les enterrements sont une particularité du groupe. Le défunt est veillé pendant trois jours chez lui, puis toujours inhumé dans une fosse commune à Thiais (4), en présence seulement des hommes. 

La Famille est très festive, des repas, des pique-niques réunissent les différents membres, la consommation d’alcool est forte chez les hommes du groupe.

La Famille n’a pas de clergé, pas de gourou, ne présente pas de danger pour la société. Cependant, la sujétion psychologique de ses membres et surtout l’endoctrinement des enfants font partie des critères qui définissent les dérives sectaires, aussi la Famille est-elle surveillée par la Miviludes (5).


Convulsionnaires, séance de secours

Convulsionnaires

Séance de secours  : une femme se frappe à coups de battoir. La légende de la figure indique  : Percutiam et ego Sanabo (« Je frapperai et je guérirai » – Deutéronome XXXII, 39). Gravure anonyme du XVIIIe siècle.

  •  (1) « Convulsionnaire « est un terme apparu au XVIIIème siècle forgé à partir du terme médical « convulsion ». Il sert à désigner collectivement des individus atteints de troubles mentaux qui, lors de transes mystico-religieuses, présentent des convulsions. (Extrait de Wikipédia).
  • (2) Le terrain est vendu en 1798, le cimetière est désaffecté en 1801 et transformé en square en 1875.
  • (3) Le Concordat est un traité par lequel le Saint Siège d’une part et un Etat souverain d’autre part, règle l’ensemble des questions concernant les institutions et les activités de l’Église catholique sur un territoire donné. En 1801, un concordat a été signé entre Pie VII et Bonaparte. Celui-ci voulait mettre fin à la persécution religieuse mais aussi contrôler l’Église. Ce concordat a été dénoncé en 1905 par la loi de séparation des Eglises et de l’État.
  • (4) Thiais est une commune du département du Val de Marne appartenant à la Métropole du Grand Paris.
  • (5) : La Miviludes est une mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires.

Sources :

–  articles de Wikipédia concernant François Jacquemond et la Famille.

–  recherches de Michelle Péquignot : « Claude et François Bonjour, originaires de Pont-d’Ain, curés à Fareins, fondateurs de la secte des fareinistes »

–  Enquête du journaliste Nicolas Jacquard, pour le Parisien, sur la Famille (article du 20 juin 2020).                                                                                                                                                                                                                            

– Podcast France-Inter (revue de presse du week-end) : enquête du Parisien sur « la Famille, communauté parisienne soupçonnée de dérives sectaires ».

– Livre de Suzanne Privat : « la Famille, itinéraire d’un secret » (éditions Les Avrils).

– La Presse + : Serge Maury « Une secte janséniste convulsionnaire sous la Révolution Française » (éditions Le Harmattan).

– Dailymotion : témoignage de Fabien, ex- membre de la Famille.