Bellegarde-en-Forez est un village situé à la sortie des gorges de l’Anzieux, rivière qui prend sa source au-delà de Viricelles, à l’est sur la commune de Grezieu-le-Marché, au niveau de la ligne de partage des eaux Atlantique/Méditerranée. Cette rivière descend vers la Loire alors qu’à un kilomètre à vol d’oiseau, la Brevenne, autre rivière locale, prend sa source à l’ouest de Viricelles sur la commune de Maringes et descend vers la Saône puis le Rhône.
Bellegarde-en-Forez dispose depuis longtemps d’un château. Il est mentionné dans la “Permutatio” de 1173 et est alors propriété des comtes du Forez. Il surveille la grande voie de passage entre deux des grandes vallées des Monts du Lyonnais formées par les deux rivières plus haut nommées. Elles assurent la liaison entre Lyon et Montbrison par une route qui les emprunte et traverse la Loire à Montrond-les Bains. Ce fût la route royale n°1. Ce fût plus tard par ce même passage que fût mis en place en parallèle de la route une ligne de chemin de fer entre ces deux villes et ouverte en 1876 par les Mangini. Il n’y a pas de gros obstacles naturels. On peut être assuré d’une vie sociale et économique importante dans cet endroit.
Il ne s’agit pourtant pas de la grande voie romaine tirant au droit entre Lyon et Clermont par Feurs et Boën construite sous Agrippa vers l’an 20 avant JC. C’est plus probablement une voie secondaire empruntée par les Ségusiaves, peuplade de la région. On pense d’ailleurs qu’il y aurait eu à cette époque un pont ou un bac sur la Loire entre Veauche et Montrond-les Bains, un peu en amont du pont actuel que l’on trouve au niveau de cette dernière ville.
Dans l’Antiquité tardive, au début du 3° siècle, les Alamans font leur apparition et menacent l’empire romain. En 233, l’empereur Sévère Alexandre ramène les Illyriens d’Orient pour défendre le territoire car la Gaule menace d’être envahie. Ils sont finalement repoussés outre-Rhin un peu plus tard par l’empereur Gallien mais ils reviennent vers 260 et occupent le centre et le sud-est de la Gaule. Certains vont même en Espagne. En 275, ce sont les Francs qui pénétrent plus avant en Gaule par le Rhin et la Meuse pendant que les Alamans reviennent et avancent à nouveau dans les vallées de la Saône et du Rhône. Ces peuplades s’installent finalement sur place en raison de la faiblesse de plus en plus patente de Rome et commencent à mélanger leur savoir-faire d’agriculteur avec les pratiques locales. Le Christianisme s’installe parallèlement. Il était devenu la religion de l’empire romain et l’on en adopte aussi les mœurs avec disparition progressive des incinérations au profit des inhumations. Les invasions barbares ne correspondent pas, on en est de plus en plus certain, à ces images de hordes de sauvages qui détruisent tout sur leur passage à la manière d’Attila, roi des Huns, mangeur de chrétien selon la tradition. On assiste plutôt une transformation silencieuse de la société grâce à l’apport nouveau des migrants : comme celle que vont proposer les européens prenant assise en Amérique de nombreux siècles plus tard. Ils sont venus de l’est, certes pour s’approprier le terrain, mais aussi pour le cultiver et se nourrir parce que du côté de Constantinople le pouvoir encore extrêmement puissant les repousse quand Rome se délite et est incapable de les stopper.
On arrive vite au Haut Moyen-Age vers 450 ans après JC. On a peu de détails sur cette période et l’on est rentré dans des pages très obscures de notre histoire. On sait seulement pour notre région que Feurs est oublié. La ville est amoindrie, le pouvoir romain a disparu et les migrants se sont installès dans des forêts riches en chêne qu’ils commencent à défricher (besoin de tanin pour les cuirs notamment) pour les remplacer ensuite par des prairies. Haute-Rivoire, village tout proche de notre endroit, tire son nom du chêne qui se nommait “ravouère” en vieux français. La religion n’est pas encore structurée, la langue n’est pas stabilisée, les moines et les monastères ne sont pas en place : il n’y a donc pas d’écrits, d’autant que l’administration romaine a entièrement disparu. Les routes sont laissées à l’abandon. Seul semble rester un cadastre, mis en place antérieurement et que les nouveaux arrivants vont respecter en occupant les zones libres en dehors des domaines ruraux bien structurés, avec leurs fermes et leurs dépendances, occupés par les Ségusiaves d’hier qui pactisent facilement comme de bons commerçants, comme ils l’ont fait hier avec les romains et leurs alliés sarmates: on relate fort peu de destruction “barbare” dans notre région.
Tout ce petit monde va mettre 5 siècles pour faire parler à nouveau de lui. C’est le temps qu’il faudra pour voir émerger les bourgades avec leur château et leur église. Feurs qui refait modestement surface devient d’ailleurs un “burgus”. Dans l’endroit qui nous intéresse apparaissent notamment 5 forts : Valeille, Mais (Meys), Reculio (Saint Romain-le-Vieux vers Chazelles), Saint Symphorien et Avez (Aveize) qui contrôlent le territoire. Des chemins se sont formés le long des anciennes propriétés et desservent de nouveaux villages. Les voies romaines sont remises à l’ordre du jour et l’on commence à transporter des reliques dans les églises et les monastères pour leur donner de l’importance. On crée de nouvelles directions : les chemins romeux ou jacquaires par exemple. Les écrits réapparaissent : on en sait alors bien plus.
C’est parce que la période qui se situe entre le déclin de Rome autour de 300 et 900 ans après JC (correspondant à peu près au Haut Moyen Age) est presque muette, que tous les évènements qui l’intéressent sont aujourd’hui traqués puis étudiés et inventoriés. Il y a en effet très peu de ressources archéologiques à utiliser en dehors des zones connues pour avoir été antérieurement occupées comme les bords de la Loire. La vie sociale gauloise ou romaine avec ses constructions a disparu et les châteaux ne sont pas encore érigés.
En 2001 une loi sur l’archéologie préventive a imposé l’intervention d’archéologues préalablement à la mise en route de grands chantiers. C’est ainsi que 20% des surfaces de 700 km2 annuels touchés par des travaux d’aménagement du territoire (carrières, terrassements, routes et voies ferrées, bâtiments privés et publics) sont fouillées, étudiées, comparées et rapportées, ce qui a considérablement éclairé certaines pages mal visibles de notre histoire et de notre évolution sociale.
Schématiquement, un aménageur qui peut être organisme social, public, une structure régionale, un promoteur, une entreprise, veut entreprendre des travaux d’aménagement ou de construction, notamment dans un lieu située sur une zone connue pour sa sensibilité archéologique, sur une superficie supérieure à 3 hectares, sur une route, une déchetterie ou une carrière, autour d’un monument historique : il doit faire une déclaration en préfecture. Le dossier est examiné par le service régional d’Archéologie qui remet son rapport au préfet. Celui-ci peut prescrire un diagnostic, que l’aménageur aura pu lui-même proposer avec une demande anticipée directe. L’arrêté de prescription de diagnostic est notifié à l’autorité compétente (mairie, DDE) qui délivre l’autorisation de travaux, ainsi qu’à l’aménageur, aux collectivités territoriales concernées par le projet si elles disposent d’un service archéologique agréé et à l’Institut national de recherches archéologiques préventives : l’Inrap créé en 2002. L’une ou l’autre de ces deux dernières structures vont faire un diagnostic, l’Inrap intervient systématiquement si les services agréés décident de ne pas le mener. Si le diagnostic confirme la présence de vestiges significatifs sur le plan scientifique ou patrimonial, le préfet de région peut prescrire une fouille ou demander la révision du projet pour qu’il n’ait pas d’impact sur le patrimoine soupçonné. Les travaux de fouilles lorsqu’ils sont prescrits sont fait par des sociétés publiques ou privées sur appel d’offre. Interviennent ainsi souvent l’Inrap, Mosaïque, Hades, Paleotime ou Eveha. La liste n’est pas exhaustive. La fouille réalisée débouche sur un rapport scientifique faisant l’objet de publications. Une place importante est donnée à l’information auprès du public lors de toutes ces opérations avec notamment des portes ouvertes sur les chantiers.
Les Carrières de la Loire DELAGE situées au lieu-dit Ruffy, à Bellegarde-en-Forez, dans un programme d’extension en direction de Maringes ont fait il y a quelques années une demande auprès des services compétents de la Loire. Il s’en est suivi une phase diagnostique réalisée par l’INRAP, sous la direction de Georges Vincent, qui a permis de repérer dans un champ en légère pente sous une ligne de crête des vestiges d’une nécropole avec des inhumations, sans conservation des ossements et dentitions en raison de l’acidité du sous-sol. Un rapport a été remis en 2013 qui a conduit à une fouille réalisée par Eveha, le principal bureau privé d’études archéologiques en France. Il est notamment en charge sur la région des fouilles sur le terrain destiné à l’extension des Laboratoires Boiron à Messimy. On y a trouvé une magnifique ferme gauloise et une très belle villa romaine permettant d’envisager la création d’un site archéologique remarquable.
Nous avons donc été reçus par Jean-Claude Ozanne, directeur scientifique du bureau d’étude Eveha de Lyon et Stephane Adam le responsable de l’opération sur le chantier archéologique de Bellegarde, tout cela grâce à la perspicacité d’Alex Laverroux qui a rencontré les archéologues à Maringes sur leur lieu de repos : il a obtenu une invitation.
Ils nous racontent le cheminement du chantier depuis le début des travaux. Il a fallu d’abord faire un diagnostic. Celui-ci a été rendu possible par une technique de sondages multiples sur des nœuds de lignes établies sur le terrain avec une pelle mécanique. Ce travail a permis de mettre en évidence la présence certaine de vestiges en grand nombre correspondant à une nécropole. Il a donc été décidé après le rapport remis par l’Inrap de procéder à une fouille approndie sur un territoire à priori bien délimité par le travail précédent.
Les engins mécaniques de la carrière demandeuse de l’extension d’exploitation sont alors intervenus pour dégager et racler jusqu’au rocher la terre arable d’une épaisseur de 30 à 40 cm selon les endroits. Cette terre a été entreposée à la périphérie de la zone de fouille pour être ultérieurement remise en place afin de reconstituer la prairie primitive jusqu’au jour où la société procèdera à l’exploitation de la pierre sous-jacente. L’équipe des archéologues d’Eveha est alors intervenue pour rechercher par sondage, ouvrir et dégager toutes les tombes, recueillir les éventuels objets, morceaux de bois, répertorier les nombreuses pierres utilisées comme cales, photographier, mesurer et prélever en vue d’établir un rapport ultérieur.
Nous en sommes aux dernières journées de fouilles et 74 sépultures ont été mises à jour dont 10 d’enfants. Aucune ne comporte d’ossements ou dentitions en raison de l’acidité du sous-sol.
Quelques morceaux de terre cuite ont été répertoriés mais correspondent plus à des calages. Toutes les tombes sont orientées est-ouest.
Dans cet axe on aperçoit le Mont Malherbe, point culminant des Monts du Lyonnais, qui se dessine sur la ligne d’horizon. Les fosses servant à l’inhumation sont taillées dans du microgranite. Beaucoup comportent des pierres qui ont pu servir à caler des planches ou des cercueils de bois.
Une datation par le radio-carbone est en cours sur quelques morceaux de bois retrouvés dans certaines des sépultures mais on peut raisonnablement penser que cette nécropole remonte à 300 ou 400 ans après JC. Les inhumations ne commencent qu’avec l’arrivée du Christianisme car elles autorisent la résurrection ultérieure. La crémation disparait avec les romains. Qu’en est-il de possibles migrants de l’époque ? On peut en douter: venus de l’est ils pratiquaient probablement aussi la crémation.
Le cimetière est situé à une altitude de 540 mètres dans la déclivité, probablement au bas d’un ancien village dont il n’y a plus aucune trace. On domine l’immense carrière de Bellegarde. On est sous une ligne de crête qui retombe de l’autre coté sur la route de Maringes à Bellegarde-en- Forez, les deux villages les plus proches.
A peu de distance on trouve le hameau de Montpollon, contraction du Mont Apollon, site qui a eu une certaine importance quelques siècles auparavant. On note aussi la présence d’un hameau nommé La Barbarie ou Côtes Vieilles à quelques centaines de mètres du lieu et des “domaines” autour de La Montagne, un petit sommet local à 580 mètres.
Cette trouvaille a quelque chose de tout à fait particulier dans la région. C’est une nécropole de caractère inédit sans trace d’habitations alentours. Elle est parfaitement organisée de façon orthogonale avec des tombes en quantité importante disposées sur des lignes également séparées et allant dans la même direction sans superposition. La profondeur est d’environ 50 à 60 cm. dans du rocher que l’on trouve à environ 30 à 40 cm sous la terre arable selon des endroits.
La roche est dure et de couleur variable comportant des trainées rougeâtres d’oxyde de fer.
Difficile d’aller plus loin pour notre part. Il s’agit d’une des rares pièces d’un puzzle historique concernant le Haut Moyen Age. Souhaitons que de nombreux grands travaux régionaux à venir permettent à leur tour d’apporter d’autres éléments.
PHIAAC a assisté à un évènement exceptionnel et vous relate cette expérience archéologique qu’elle a pu réaliser grâce à l’équipe archéologique d’Eveha que nous remercions vivement.
En complément et pour mieux comprendre le role de l’INRAP et la notion d’archéologie préventive voici un petit documentaire interessant provenant de la videothèque de l’INRAP: