LES CLAPEUSES,
A LA MEMOIRE DE CES FEMMES DE LA MINE …
Article de MAURICE BOURRAT
Venue de si loin toi qui dut parcourir bien des chemins, te voila ici, jupe, chemise, foulard, mouchoir et tablier gris.
Veuve d’un mineur emporté par la silicose, pour nourrir ton enfant, tu devras chaque jour, trier, trier, pendant des heures, de tes petites mains de femme si fines et délicates, ces tas de petits cailloux noirs salissants, servant à chauffer les chaumières des habitants.
Tes yeux gris perle auront connu bien des chagrins, mais ils continuaient à briller comme des petits diamants sur ton visage noirci, et ton courage a su toujours mettre un sourire sur ton visage.
Femme d’un passé lointain, tu as su nous montrer, par ce travail si peu facile, lorsque les wagonnets remontaient des entrailles de la mine, que le bonheur réside dans le cœur, et que la plus grande des richesses ne peut se trouver ailleurs.
Alors aujourd’hui, je te dédie ce poème, afin que jamais Saint-Etienne n’oublie, que ses crassiers qui dominent la ville, sont nés de ton travail et de celui de tes camarades.
Dorénavant bat dans cette ville un cœur de charbon!
Joli poème du Stéphanois à la Casquette.
LES CLAPEUSES DE ROCHE LA MOLIERE
LE TRI DU CHARBON
LA CLAPEUSE OU FLEUR DE CHARBON,
FEMME TRAVAILLANT A TRIER LES PIERRES MELEES AU CHARBON
Ces femmes étaient habillées d’un grand tablier noir et d’un foulard sur la tête. C’étaient de vieux vêtements et en plus, les nôtres car la mine ne fournissait rien. Le samedi, on allait les laver à la rivière. En hiver, elles avaient très froid et pas de gants. Elles prenaient souvent des engelures et des crevasses. Elles se mettaient de la glycérine et des chaussettes aux mains. Au début, seules les veuves étaient clapeuses. Après, les compagnies ont commencé à embaucher des jeunes filles.
Le triage était un métier réservé aux femmes : un drôle de travail. Nécessaire mais peu valorisé. Retirer des chargements ce qui n’était ni combustible ni de bon rapport pour la compagnie. Mettre la main dans les excréments que des indélicats, des grossiers, des jaloux mêlaient aux gaillettes (morceau de houille calibré, de grosseur moyenne, servant à alimenter le feu.) juste pour humilier. Assembler tous ces matériaux invendables dans des tas pour en constituer de bien plus gros, les terrils. Dans le Nord et en Lorraine, les hommes ont rempli les berlines, leurs femmes ont érigé des montagnes. Plus hauts que les chevalements, les terrils leur ont survécu lorsque ceux ci ont été abattus sur l’autel de la reconversion industrielle. Aujourd’hui, on fait du ski, du parapente et l’on se balade dans les forêts naturellement venues s’installer sur ces tas des déchets constitués à la sueur des femmes.
Le triage ne fut autorisé aux femmes qu’au début du XX ème siècle, tout comme le convoyage des wagonnets jusqu’aux trains. Auparavant, les femmes furent à la fin du XIXème siècle affectées à la lampisterie, poste noble.
Le tri, à la main : ôter du convoyeur les « stériles » (la roche), et les calibres trop petits et éviter les messages que certains hommes du fond leur envoyaient. Des déchets, du foin, des restes de repas. C’est au triage que ces femmes pouvaient espérer attirer l’attention d’un mineur, ou d’une mère de mineur. On restait entre soi, à la mine.
Au jour, le charbon est étalé sur des grandes tables ou placé sur un tapis roulant. Il n ‘attend pas longtemps : des mains le touchent, le retournent puis saisissent des stériles qui l’accompagnent. La première étape de la vie aérienne du charbon est le criblage. Le triage.
Aux côtés des lampistes, boiseurs et autres racommodeux qui travaillaient en surface, un emploi était réservé aux femmes celui de la trieuse. Il fallait à la fois empêcher que le beau sexe se détournât, les hommes de leurs tâches souterraines, et lui permettre de rapporter un peu d’argent au ménage. Alors, le tri fut pour elles. Elles étaient aussi utilisées pour charger le bon charbon dans d’autres berlines, dans les trains, dans les péniches. Les clapeuses savaient manier la pelle à gueule large en attendant qu’un mari vienne un jour les trouver. Quand elles avaient fini leur ouvrage, le charbon partait en train, en camion, en bateau vers les foyers, les cokeries et les chaudières industrielles.
Au fil des ans, une étape supplémentaire s’est rajoutée et perfection née entre le triage et le transport. La métallurgie, avide de coke, et les chaufferies industrielles exigeaient des charbons bruts de plus en plus purs, c’est à dire homogénéisés (une seule gamme de taille bien particulière) et non pollués par des bouts de roche ou de la cendre. Or les mains des clapeuses ne pouvaient que tamiser sommairement le charbon des berlines. Si elles savaient retirer rapidement les stériles, elles ne savaient pas raisonnablement calibrer le charbon selon des besoins de plus en plus divers. En deçà d’une taille de huit centimètres, une gaillette passait inaperçue : elle était perdue. Deux solutions furent trouvées pour épauler ces demoiselles. Le cribleur mécanique, sorte de tapis roulant vibrant à trous, et le lavage. Le charbon étant moins dense que l’eau, il suffisait de faire passer le contenu des berlines dans des bassins et d’attendre qu’il veuille bien faire surface. Les stériles, en principe, restaient au fond. Mais que d’eau ! Et que de travail supplémentaire. Trier, puis laver, ou bien laver puis trier, avec ou sans criblage, cela ne faisait que rajouter du travail. Il faudra attendre les années 1950 pour que cela change.
Dans le bassin de la Loire on en dénombre régulièrement autour de cinq cents. Elles ne travaillent pas au fond, où les hommes sont le plus nus. Elles sont toutes occupées en surface. Là encore, c’est le patois gaga qui désigne leur fonction. Ce sont les clapeuses, les clapes, pierres de schiste qui restent mêlées au charbon extrait de la mine. Les clapeuses sont donc des femmes chargées de les trier et de les séparer du bon charbon. Elles sont payées au nombre de paniers de pierres enlevées.
Etienne MICHEL les a vues, la tête enveloppée dans un fichu de romanichel, leurs vêtements sordides protégés, dans un suprême sentiment de coquetterie, par un large tablier de toile bleue.
Les clapeuses, ce sont des gaillardes, écrit Pierre Chapelon 1924. Au contact des mineurs, elles se sont masculinisées.
Elles ne s’en laissent pas conter. Il le faut, car les surveillants, sous prétexte de vérifier qu’elles ne dissimulent pas un morceau de bon charbon sous leur ample jupe grise, ont quelquefois la main un peu leste. Ce sont des gaillardes, comme ces dames du marché de Brive……la Gaillarde, chantées par Georges Brassens.
Sortie en fanfare des clapeuses, avec cet extrait du poème Fleur de charbon, par Frédéric Marty, rédacteur en chef du Stéphanois :
Lorsque de la benne aux abords
Du puits on a porté la houille,
Pour qu’on l’inspecte
et qu’on la fouille,
Qui va l’examiner dehors ?
Qui vaq la trier, curieuse ?
C’est la clapeuse
Tête mauvaise mais cœur bon,
Qu’elle soit, la fleur de charbon,
Fidèle épouse ou vierge folle,
Pauvre, elle a pour tous les malheurs
Du pain, des baisers ou des pleurs,
Sublime obole !
A leur égard Poème de Pierre CHAPELON se montre lyrique : « vieilles femmes, et jeunes filles, elles laissent deviner, sous l’épaisseur d’une patine respectée, leur expressive physionomie, parfois jolie, avec des yeux clairs et des dents blanches. Leur adresse vous émerveille, à se maintenir sur un terrain mouvant et des pentes vertigineuses. »
Ce ne sont pourtant que des alpinistes de la misère.
Les lavoirs surveillés et entretenus par des hommes remplacèrent les femmes à partir des années 1950 ; ces machines, les DREW BOYS, sont des lessiveuses géantes dans lesquelles le charbon finissait par surnager, en fonction de son calibre.
TEMOIGNAGE D’UNE ANCIENNE CLAPEUSE :
MADAME AUGUSTINE FAYOLLE
Je suis née en 1917, à 10 ans, j’étais placée chez les paysans à SAINT GENEST MALIFAUX. A 13 ans et demi, j ai été employée aux mines comme clapeuse. J’ai fait 11 ans de mine et 11 ans chez les clapeuses.
Je travaillais avec une dizaine de dames, toutes des veuves de mineurs, avec des enfants. Moi qui étais jeune, quand j’ai vu ces dames, tout en noir, avec des chapeaux, des écharpes. Aux mains elles mettaient des bas, çà cachait tous les doigts, çà laissait que la pointe. Je pensais dans ma tête « çà doit faire mal, çà doit pas être rigolo comme travail ! ». Elles m’ont dit : « Vous allez faire clapeuse, oh ces petites mains que vous avez ! » Elles me chinaient quoi ! Moi ? J avais envie de pleurer, avec toutes ces femmes, j’étais la plus jeune ! Quand j’ai été embauchée, c’étaient presque des veuves, mais y avait deux jeunes filles, un peu plus vieilles que moi. Par la suite, ils en ont embauché des filles, alors c’était déjà mieux gai. Des moments on se faisait rire, les jeunes avec des personnes sur la vie, elles avaient du bagout.
Le dimanche, elles restaient chez elles, elles lavaient le linge dans les baquets. Le samedi, on travaillait pas l’après midi, on allait laver nos nippes noires, pleines de poussière, à la rivière. On nous tenait pas pour le lait ! On faisait poste. Le matin il fallait se lever à 6 h, c’était dur ! L’hiver on avait de la neige jusqu’aux genoux, on avait ni bottes, ni gros capuchons, ni rien. Et on a bien suivi. Je ne me suis jamais mise en caisse. En 11 ans, j ai jamais eu un jour de maladie au boulot.
Y avait des grands couloirs qui descendaient le charbon sur des trappes. Nous, en bas, on enlevait toutes les pierres. Il fallait faire attention que çà nous tombe pas sur les doigts, parce que çà arrivait plus d’une fois.
Y avait des grosses pierres, il fallait les sortir et les mettre dans des bennes à côté de nous. Quand il descendait, le charbon, des moments c’était pas appétissant, çà sentait mauvais comme tout, on attrapait un machin tout mou. Des fois c’était un rat crevé. On riait…..quand çà arrivait aux autres !
L’hiver c’était pas drôle parce qu’on avait des engelures aux pieds et aux mains. Nos mains étaient tout abimées, avec des crevasses. Quand on en avait trop, on allait au docteur et il nous marquait des pommades. Je peux dire que j’en ai usé beaucoup, de pommades, parce que j’avais peur de mes mains ! L’hiver, on avait une espèce de réfectoire, y avait un grand poêle avec des rondelles, on pouvait faire chauffer notre soupe. En ce temps là on avait toutes un «gandau ». C’était défendu d’emmener du charbon, mais dans le gandau, çà passait. A côté de la cage, y avait un petit cagibi, on avait le droit de se chauffer un peu, mais il fallait pas trop y rester longtemps, le chef nous courait, mais il était pas trop sévère, çà pouvait aller.
L’hiver, on portait la soupe, mais pas l’été. L’été, c’était la portion : un bout de saucisson, parce qu’on tuait le cochon, un bout de fromage et une bouteille d’eau, mais y avait des clapeuses qui emportaient du vin.
Au début, ils ont fait des lavabos, bien plus tard. Nous les gamins, on se lavait pêle-mêle, on rigolait, mais les personnes plus âgées ont jamais voulu se laver devant les autres. On avait une vieille fille qui était marrante, elle s’appelait Philomène, elle nous disait : « Vous m’énervez, je me lave mieux chez moi ! »
Les clapeuses, c’étaient des femmes charmantes. C’est pas parce qu’on était clapeuse qu’on était pas bien, tout au contraire, on savait se défendre.
Les clapeuses de RIVES DE GIER
SOURCES
LA MINE ET LES MINEURS DE LA LOIRE PAR JEAN TIBI
AU JOUR ET AU FOND HISTOIRE DE LA MINE ET DES MINEURS PAR AMIPROCHE
LES GUEULES NOIRES PAR FREDERIC DENHEZ
DOCUMENTS PERSONNELS
PHOTOS PERSONNELLES