MONTBRISON.

Fière et secrète, peu consciente de son déclin et de la rapide progression de sa grande rivale Saint-Etienne, Montbrison reste tournée sur elle-même. Tous les yeux de la France sont fixés sur Saint-Etienne, devenu le centre de la houille dans le pays, avec la perte de la Sarre en novembre 1815 après Waterloo ; cette ville se développe à une allure folle autour du charbon, de la métallurgie et des armes, et elle s’équipe des premiers réseaux ferrés nationaux.

Le département de la  Loire est né de la volonté du pouvoir central révolutionnaire de punir Lyon pour s’être rebellé. On a ainsi coupé Rhône et Loire en deux en 1793, et Feurs a été le premier chef-lieu du nouveau département. Mais en 1795, c’est à Montbrison, devenue préfecture, que l’on a installé un représentant du pouvoir central dans les beaux bâtiments du collège des Oratoriens. Les locaux avaient certainement été récupérés par Claude JAVOGUES, célèbre ligérien révolutionnaire sous la Terreur.

Dans cette petite ville de province, capitale du Forez, qui vit de culture et de passé, là où les préfets, faute de distraction, changent presque tous les ans, on a l’armée depuis l’Ancien Régime avec le fameux 16e régiment d’infanterie, couvert de gloire à Wagram, logé dans la caserne de Vaux, on a la justice avec ses tribunaux criminels installés dans l’ancien couvent des

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Montbrison. Palais de justice. Ancien couvent des Visitandines. (collection particulière)

Visitandines avec sa magnifique coupole d’ardoise, ses prisons et la guillotine, qui vient fonctionner dès que nécessaire au pied des escaliers du Palais de Justice en haut de la rue Saint Pierre, on a le clergé avec l’impressionnant séminaire tout proche de Verrières, où sont passés Marcellin CHAMPAGNAT et Jean-Marie VIANNEY, « le curé d’Ars », on a une petite industrie de serrurerie, qui assure les emplois en ville, des minoteries alimentées par une agriculture florissante tant sur les monts du Forez, les « Montagnes du soir », que sur celles qui lui font face, les « Montagnes du matin », avec, entre les deux, une plaine du Forez très riche – qui attend un canal d’irrigation – traversée par la Loire que l’on franchit par un de ses deux ponts fixes, dont un à Montrond-les-Bains (l’autre est au niveau de Roanne) pour aller à Lyon par la plus belle route du département. Ce pont a été construit en 1824 avec des piles maçonnées et des arches en bois. A ses pieds, un petit port accueille les barques que l’on accroche à des pieux de service le temps de se restaurer à l’auberge la plus proche.

On meurt plus qu’on ne naît à Montbrison, où tout s’écoule tranquillement  comme dans ce pays de Lignon très proche qui a vu naître Honoré d’Urfé et l’Astrée.

SAINT-ETIENNE.

La grande rivale, Saint-Etienne, une sous-préfecture laborieuse et peuplée d’ouvriers, qui bouillonne, voit grossir sa population et s’enrichir des produits miniers qu’elle a sous ses pieds et qu’à grands renforts d’innovation et de distribution, elle commence à rentabiliser. C’est désormais le premier bassin minier de France. La troisième concession de chemin de fer  a été donnée aux ingénieurs parisiens MELLET et HENRY. Ils vont remonter la rive orientale de la Loire depuis Andrézieux par Montrond-les-Bains, Feurs jusqu’à Le Coteau puis Roanne, pour acheminer le charbon vers le nord et la capitale, sans passer par un fleuve difficilement navigable, qui ne peut être que descendu par les rambertes condamnées à la destruction au port d’arrivée à Roanne. Le trajet est dangereux, tumultueux et mal aménagé, avec notamment le redoutable saut du Perron au niveau de Villerest, qui interdit toute remontée.

La même ville s’est aussi ouverte au Rhône avec la 2° concession donnée à Marc SEGUIN pour une voie ferrée vers Givors et Lyon, mais amène déjà depuis 1827 une partie de son charbon au port d’Andrézieux grâce à la première ligne de chemin de fer construite en France, celle de Saint-Etienne-Andrézieux, dite ligne BEAUNIER, du nom de son promoteur, ingénieur en chef des mines et créateur d’une école d’application sise dans cette sous-préfecture de la Loire, qui prend une ampleur impressionnante et s’ouvre à toutes les voies de circulation possibles.

Ainsi, avec un même enthousiasme, Philibert RÉOCREUX, ingénieur des Ponts et Chaussées, est chargé à partir de 1824 de rejoindre par la route et la montagne le pont d’Andance sur le Rhône qui est construit par les frères SEGUIN et qui va réunir en 1827 l’Ardèche et la Loire au département de la Drôme.

Petit à petit, dégagée de toute contrainte liée  à sa situation topographique, Saint-Etienne, ville haute encastrée au pied du massif montagneux du Pilat, s’avérant boulimique avec ses 60.000 habitants, commence à réclamer à Montbrison le statut de préfecture du département.

LA RÉALISATION DU TRAMWAY.

La ville de Montbrison, chef-lieu du département, découvre ainsi dans l’année 1830 qu’elle risque d’être bientôt très seule lorsque Roanne, la seconde sous-préfecture, sera reliée à Saint-Etienne par la ligne MELLET et HENRY, puis à Lyon dans un futur proche, par une ligne ferrée qui se dessine et qui passera au nord par Tarare, alors que Lyon, la capitale des Gaules, a déjà fait le lien avec la grande rivale ligérienne.

Le maire de Montbrison de l’époque, dans cette ville de 7.000 habitants, Ildefonse RATER, pense à tout cela et alerte sa communauté en écrivant un mémoire dénonçant les injustes prétentions de Saint-Etienne pour enlever le chef-lieu, mais en avertissant que cette situation pourrait bien se produire rapidement si sa ville maintient, les yeux fermés, son isolement dans une activité purement locale, sans relation avec les deux autres arrondissements ligériens qui vont pouvoir désormais facilement communiquer entre eux. Il faut, selon lui, que la ville fasse rapidement une liaison par une voie ferrée pour avoir la capacité de devenir un grand entrepôt de matières premières, notamment de charbon pour l’Auvergne toute proche, un grand grenier de matières agricoles pour la région, et disposer d’un moyen facile et rapide de circulation pour ses habitants. Une liaison avec Montrond-les-Bains, ville toute proche, est toute désignée.

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Mémoire de Ildefonse RATER. (Archives dép. Loire)

Comme Feurs, l’ex-préfecture éphémère du département, Montrond-les-Bains, avec son pont Henri sur la Loire, est un nœud de communication au milieu de la plaine du Forez, entre le nord et le sud, l’est et l’ouest du département. La graine ainsi semée va germer, loin de l’or de la capitale, dans un terreau de petites fortunes besogneusement accumulées par les notables bourgeois montbrisonnais. L’idée d’un chemin de fer entre Montbrison et Montrond-les-Bains est évoquée. On prend pour exemple celui de Harlem à New-York aux Etats Unis, ouvert en 1832, où la voie est posée sur une route existante. En Angleterre, il existe aussi une voie de même nature entre Croydon et la Tamise. Elle a été construite par Benjamin OUTRAM. Ce serait de lui que proviendrait l’origine du mot tramway par contraction de Outram’s way, le nom donné à cette ligne. C’est la plus originale des nombreuses explications sur la genèse du mot.

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Un tramway hippomobile (Fond Sylvestre-B.M.Lyon P0546 SA 1/3)

Quoiqu’il en soit, c’est sur ce type de voie de communication jugé peu coûteux, innovant et moderne, que l’on s’oriente. Cela n’existe pas en France et rien n’est trop beau pour cette petite ville de province qui a besoin d’être regardée et dans laquelle ont régné sur de grands territoires les comtes du Forez et les chevaliers de Saint-Jean. Ce type de ligne ferrée ne nécessite pas d’expropriation ou de gros travaux et peut se développer sur une route existante. La belle voie toute droite de Montbrison à Montrond-les-Bains est toute désignée pour recevoir des rails métalliques en accotement, sans beaucoup de frais. Comme la solution est nouvelle et doit emprunter une partie du domaine public, il faut une autorisation qui ne peut venir que du pouvoir central à Paris.

Un projet de loi portant concession du chemin de fer de Montbrison à Montrond-les-Bains est donc déposé le 1er février 1833 par Jean-Jacques BAUDE, député de la Loire, malgré l’opposition des Ponts et Chaussées pour cette solution consistant à emprunter la chaussée publique. La promulgation est faite le 26 avril 1833 et autorise le gouvernement à procéder, avec concurrence et publicité, à la concession d’un embranchement du chemin de fer Roanne – Andrézieux s’en détachant à Montrond-les-Bains. Elle a été difficile à obtenir, car beaucoup de députés ne veulent pas que cette petite ligne provinciale posée sur une route serve ensuite d’exemple pour d’autres réalisations, en l’absence de plan politique général de communications. Il y est dit que les rails sont posés sur la voie existante et doivent laisser au moins 6 mètres 80 à la largeur restante pour la circulation des autres moyens de transport, la traction des voitures peut y être de tout type, la concession est limitée à 99 ans, une association doit être créée et faire son affaire des autorisations et droits à acquitter pour la traversée du pont à péage de Montrond-les-Bains. Une taxe kilométrique est fixée à 0,15 franc. Le transport de passagers ne peut excéder 1 franc. Elle s’accompagne d’une subvention de 50.000 francs pour sa construction. On notera que c’est une première loi relative aux chemins de fer votée par le pouvoir central qui manifeste ainsi son intérêt pour des initiatives privées de ce type en allouant une belle somme d’argent. Le premier tramway de France est mis  sur les rails administratifs.

Les leviers financiers de la capitale sont malgré tout très frileux et attendent de voir ce qui va se passer avec cette nouvelle entreprise autorisée d’exploitation sans titre de propriété véritable, sans exemple sur le territoire et avec des tarifs bridés.

Sur la base de quelques projets chiffrés, une association va se créer en ville pour récolter assez de fonds et concrétiser l’un de ceux-ci. Elle va réunir la classe sociale dominante des petits propriétaires, des commis d’Etat, des fonctionnaires, des hommes de loi, des artisans et commerçants. Tous ont l’ambition de multiplier leur activité avec cette ouverture potentielle vers d’autres marchés ou de gagner de l’argent en le plaçant dans une entreprise présentée comme très rentable sur la base d’une fréquentation  assurée et croissante en passagers, allant de pair avec une circulation de marchandises et matières premières à besoins jugés exponentiels.

Avec les chiffres de fréquentation des routes établis par les Ponts et Chaussées consistant en 14.124 colliers circulant sur le pont de Montrond-les-Bains, non compris les voitures suspendues et les chars à bœufs servant aux fermiers, les charrettes à un cheval n’étant comptées que pour moitié, auxquels il faut rajouter 3.754 colliers venant de Sury-le-Comtal pour amener le charbon à Montbrison, le tout représente 17. 878 colliers et environ 42 tonnes par jour. Il ne faut pas oublier les quelques soixante voyageurs et plus en moyenne journalière utilisant les huit voitures publiques de Montbrison pour se rendre à Saint-Etienne, Lyon ou Roanne.

Le potentiel annoncé permet au maire d’appâter les  futurs actionnaires avec un taux de rendement financier bien supérieur à 5%. Il leur sera d’ailleurs proposé 4% l’an pendant 8 ans et 6% les 8 années suivantes ou plus en fonction des résultats d’exploitation. Le 16 novembre 1834, une ordonnance est signée, elle arrête le devis et le cahier des charges de la ligne à construire. Mais il faudra encore un an pour constituer la société anonyme « Compagnie du chemin de fer de Montbrison à Montrond » qui sera inscrite chez Maître MARTIN, notaire à Montbrison, dans l’été 1835. Son  capital social est fixé à 250.000 francs de l’époque sur la base du devis le moins onéreux et se répartit entre une subvention de 50.000 francs accordée par le gouvernement, 25.000 francs données par la ville et 175 actions de 1.000 francs acquises par les différents particuliers qui leur donnent droit à 1/175° des bénéfices de la société à multiplier par le nombre de papiers acquis.

A part les familles de SOULTRAIT et d’ALLARD, qui vont cumuler 30 actions, les autres actionnaires, au nombre de 97, vont généralement acquérir une demie ou une de celles-ci.

Une commission est aussitôt constituée pour prendre contact avec la compagnie du chemin de fer de Roanne à Andrézieux en vue de régler les problèmes de liaisons entre les lignes sans avoir à réaliser de déchargement à Montrond-les-Bains.

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Le Vizezy traverse Montbrison (collection particulière)

Le 14 septembre 1835, l’adjudication de la ligne Montbrison – Montrond-les-Bains est faite au profit de Pierre CHERBLANC, un ancien notaire de Montbrison. Il est délégué pour se présenter et agir au nom de la société. Le 31 janvier 1837, une ordonnance approuve enfin les statuts de la « Compagnie du chemin de fer de Montbrison à Montrond » et les travaux peuvent alors commencer. Cela fait déjà 4 ans que l’on discute sans beaucoup avancer. La traction animale a été retenue pour ne pas nuire aux autres convois empruntant la même route. Le projet le moins coûteux, proposé par l’ingénieur SÉRAGER, a été choisi. Ce dernier est chargé de conduire les travaux.

Le coût de la réalisation de la ligne ne doit pas dépasser 250.000 francs, sa largeur est celle de la ligne MELLET et HENRY, qui est d’environ un mètre cinquante. Elle est constituée de pièces métalliques faites de fer plat de 5 mètres de long et 3 cm de haut, pesant 12 kilogrammes au mètre, qui sont posées sur des longrines en chêne goudronné de 12 cm par 16 cm de section, elles-mêmes encastrées à mi-bois sur des tasseaux incorporés dans un lit de cailloutis d’environ 15 cm d’épaisseur, le tout sur une distance d’environ 15 kilomètres et demi. C’est la solution qui a été utilisée à la Nouvelle-Orléans et sur la ligne Andrézieux – Le Coteau. Elle a été préférée à l’utilisation de dés de pierres supportant des rails de fonte de un mètre vingt de longueur comme cela a été réalisé sur la ligne BEAUNIER (Saint Etienne/Andrézieux), technique jugée plus onéreuse.

L’ingénieur SÉRAGER trouve sur sa route un de ses confrères évincés qui le critique sans arrêt sur le choix et le déroulement du chantier. C’est Martin BOURBOULON, l’ingénieur qui avait proposé la pose sur dés de pierre, bien plus coûteuse. Il se promène sur le chantier avec une canne, qu’il fait pénétrer dans le lit de cailloutis  destiné à soutenir les longrines, et constate qu’il peut l’enfoncer jusqu’au pommeau, accusant ainsi son concurrent heureux de ne pas mettre une épaisseur suffisante de matériau, avec le risque d’effondrement de la voie. Il trouve aussi que les clous « tire-bouchon » barbelés pour maintenir les rails ne pourront pas s’arracher facilement. Les réponses du responsable de chantier arrivent aussitôt : il suppose que l’homme a dû enfoncer sa canne dans une zone creuse destinée à recevoir tasseau et longrine, laquelle est ensuite remplie de cailloutis tassés et stabilisés, que l’appréciation apparemment négative sur les clous est en réalité une véritable qualité de stabilité justement recherchée. Les mois de construction se poursuivent et les noms d’oiseaux fusent, chacun s’accusant de friponnerie ou d’incompétence, mais enfin, la ligne à voie unique est réalisée sur l’accotement sud de la route entre le pont de Montrond-les-Bains jusqu’à Montbrison dans le quartier Saint-Jean, en zone inhabitée pour l’instant, dans l’attente de pouvoir franchir le Vizezy, la rivière qui coule dans Montbrison, notamment le long de son hôpital. Mais il faut construire un autre pont que celui de Saint-Jean et il n’est pas prévu dans le devis.

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Montbrison. Pont sur le Vizezy depuis le Cours Gambetta (collection particulière)

QUELQUES ANNÉES D’ACTIVITÉ.

Des trajets de chantier vont être effectués dès la fin de 1837. Le premier véritable essai est réalisé le 7 mars 1838 avec le préfet Hyppolite Paul JAYR, en place depuis l’année précédente. Le 31 décembre, la ligne est ouverte au trafic des voitures et wagons mus par traction animale. Tout n’est malheureusement pas fini, et la ligne doit absolument être renforcée au niveau des berges des étangs qu’elle longe. Il n’y a pas de clôture, de garages ou de bâtiments administratifs, mais il n’y a plus d’argent.

Dans la portion Saint-Jean – Vizezy, le chemin de fer est composé de 2 voies comme au niveau de Fontannes, situé sur une butte qu’il a fallu contourner par une grande courbe, ou à Sourcieux, et enfin à l’approche de Montrond-les-Bains. Cela permet à des trains de se croiser au besoin et pourra servir de quai quand la voie secondaire sera longée par un bâtiment servant de gare et d’entrepôt.

On est encore loin de la « Grenette » au centre-ville, comme cela est prévu, car il faut exproprier et indemniser pour l’acquisition de terrains à l’entrée de Montbrison, ce qui n’a pas été prévu par la loi de 1833. Le tribunal local n’étant pas compétent, l’action relevant d’une loi spéciale, il a fallu un arrêt de la Cour royale pour nommer le 10 mai 1838 un jury capable d’entreprendre ce travail.

En plus, les Montbrisonnais du centre ne veulent pas voir les rails rentrer dans la ville afin de ne pas déranger la circulation existante, tandis que les habitants de la périphérie, où se trouvent les petites entreprises, veulent garder le terminus hors des murs de la ville pour y placer des entrepôts.

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Place Grenette. Montbrison. (collection particulière)

En attendant, les fermiers embauchés par la compagnie pour assurer l’entretien de la voie construisent en 1840 un bâtiment et y installent une zone de pesée, mais, n’ayant pas respecté les règles d’urbanisme, on le leur fait démolir dans l’année qui suit. Un pont sera finalement construit pour que la ligne traverse la rivière et se termine sur le quai de l’hôpital avec un guichet pour acquérir des billets et payer les droits de transport de marchandise.

D’un devis initial présenté et accepté pour 232.000 francs, on arrive finalement  à des dépenses de 270.500 francs, dépassant largement le fond social de la société, qui n’atteint pas les 250.000 prévus, car le gouvernement ne verse pas la totalité de ce qu’il a promis, et les actionnaires n’apportent finalement que 170.000 francs. Il a fallu en effet élargir par endroits la route, réaliser des accotements imprévus et supporter la faillite du fournisseur en bois. Le manque de trésorerie important est alors compensé par un emprunt d’un peu plus de 45.000 francs fait par la compagnie.

C’est donc dans d’extrêmes difficultés financières que la société a commencé à exploiter la ligne en 1839, avec un directeur qui a acheté le matériel pour le transport des marchandises et des passagers, constitué de deux voitures passagers, huit wagons marchandises, un wagon tombereau et un wagon passagers, avec quatre trains formant deux couplages. Le trajet dure environ une heure et dix minutes entre les deux terminus, avec des correspondances pour Saint-Etienne ou Roanne à Montrond-les-Bains. Le Montbrisonnais peut désormais se rendre à Lyon en une demi-journée.

Cette ligne sert beaucoup dès le début pour le transport des marchandises, et en 1840 déjà 8.000 passagers l’empruntent annuellement  à la moyenne de vingt par jour. Cependant, très vite, par manque de fonds, l’exploitation devient chaotique. Les travaux mettent du temps à se terminer, et déjà les déraillements sont fréquents par manque d’entretien.

Les expropriations réalisées en ville épuisent les liquidités sans que la ligne avance. En 1841, à l’occasion de la visite du ministre des Travaux Publics, l’Etat s’engage sur une aide financière qui permet de finir la ligne, mais l’argent ne vient pas, tandis que la société repreneuse du chemin de fer pour Roanne, elle aussi en grande difficulté, reçoit quatre millions de francs pour se renflouer.

AGONIE ET MORT.

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 La maison de Claude JAVOGUES à Montbrison (collection particulière)

En 1842, la Compagnie est exsangue, et le Conseil Général demande un prêt à l’Etat de 120.000 francs, qui est refusé. La faillite est donc déclarée le 12 janvier 1844 par le tribunal de Montbrison, et l’Etat prononce la déchéance en avril de la même année. Une tentative de vente de la voie en septembre 1845 est un échec. Le syndic nommé depuis la cessation de paiement continue à assurer un aller et retour par jour avec l’aide d’un fermier conducteur de diligence, d’un cheval et d’une voiture, jusqu’au 12 septembre 1849, où le préfet prend un arrêté d’interdiction de circulation en raison du mauvais état de la voie, qui ne peut être réparée par les exploitants.

Elle reste en l’état jusqu’en 1851, où le Conseil Général enjoint le syndic de niveler le terrain occupé par le chemin de fer pour rétablir la route départementale n° 1 dans sa plus grande largeur jusqu’au pont à Montrond-les-Bains, dont la réfection en pierre a été décidée pour remplacer les arches en bois, malades. On alloue pour ce faire une subvention de 20.000 francs à la Compagnie du pont.

Malgré de nombreuses protestations seulement locales, un arrêté préfectoral impose la démolition de la ligne en mai 1852, et les terrains acquis par une expropriation inutile sont revendus par adjudication en avril 1856 dans les locaux de la sous-préfecture, parce que depuis le 1er janvier de la même année, la préfecture de la Loire a quitté Montbrison pour Saint-Etienne, cette « ville noire », qui aura gagné la guerre.

EPILOGUE

Il aura fallu, sans les appuis financiers institutionnels, près de 7 ans pour la construction et la mise en route du premier tramway français, il n’en aura pas fallu bien plus pour le voir disparaitre sans la moindre réaction des autorités et dans un gâchis financier digne des plus belles enquêtes du style « Combien ça coûte ? ». La capitale du Forez va entrer en léthargie après quelques années brillantes où on l’a regardée comme une grande ville avec son tramway et ses passagers, à la manière de la capitale qui avait inauguré, à la même époque, la ligne Paris-Saint-Lazare – Le Pecq avec la Reine Marie Amélie, et qui permettait aux Parisiens à la fin de l’été 1837 d’aller à la campagne avec des chevaux-vapeur. Montbrison allait devoir désormais attendre 1866 pour être relié au PLM par Andrézieux puis Saint-Etienne et 1873 pour retrouver une voie directe sur Montrond-les-Bains puis Lyon grâce à la ligne MANGINI.

 

 On peut retrouver cet article dans le numéro spécial n° 177 de L’Araire:

Numéro spécial : Chemin de fer entre Rhône et Loire.
Histoire de lignes et d’hommes.

que l’on peut retrouver à son siège de Messimy et obtenir sur commande: 

Association L’Araire
1, passage de l’Araire
69510 MESSIMY