Si l’on peut s’intéresser à Javogues à Chazelles autrement que par l’histoire de la bataille de 1793 avec les muscadins, c’est qu’il a aussi de nombreux descendants dans cette ville, notamment par sa relation avec la famille Buer qui a très longtemps eu une place primordiale à Chazelles. Son histoire est aussi en elle-même intéressante et pourrait servir de sujet de composition philosophique s’il n’y avait pas le moindre doute de collusion dans ses actions entre le sens de l’Etat et un désir de revanche personnelle.

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Buste de Claude Javogues https://www.forez-info.com/

Claude Javogues nait à Bellegarde en 1759.

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porte de la maison natale de Javogues à Bellegarde

             CJ3     Généalogie partielle de Claude Javogues. Des éditions plus complètes existent chez les descendants chazellois. Celle-ci provient de Généanet Vendée Militaire et a l’avantage d’être simple.

Il part de Bellegarde à 12 ans pour aller au Collège à Montbrison. Puis, vers 18 ans, il entra comme clerc chez un procureur de la ville. Il s’inscrit ensuite à Valence et obtient une licence en droit.  En septembre 1785, il s’inscrit à l’ordre des Avocats de Montbrison où il va exercer sa profession pendant 7 ans. C’est un homme de petite taille décrit comme aimant boire.

En 1789, il est nommé Commandant de la Police nocturne et en 1791, administrateur du district de Montbrison.

Il devient député à la Convention Nationale en 1792 qui vote la mort du roi Louis XVI.

Il est nommé représentant en mission pour organiser la Terreur dans le département de la Loire. C’est le moment où beaucoup de villes commencent à s’opposer au pouvoir central avec une insurrection qui fait tache d’huile : Lyon, Saint-Chamond, Montbrison et Saint-Etienne sont aux mains des troupes royalistes. Les représentants républicains divisent alors le département Rhône et Loire en deux parties et Javogues est envoyé dans la Loire pour régler le problème. Feurs devient la préfecture de la Loire. On y installe le Tribunal révolutionnaire ainsi que la guillotine, amenée sur place. Anticlérical forcené dans un pays où persiste le jansénisme, traitant les prêtres de scélérats, auteur d’une taxe faramineuse contre les ” riches “, il n’est pas étonnant qu’il soit décrit comme un “terroriste” forcené. Il aura le même comportement en Saône-et-Loire où il est envoyé ensuite pour revenir dans la Loire

Les travaux de l’historien anglais Colin Lucas, qui ont mis longtemps pour être lus, ont apporté un autre regard sur ce personnage qui permet peut-être de comprendre comment dans le même département de la Loire, cet homme est honoré d’une rue à Saint-Etienne et haï 30 kilomètres plus loin à Montbrison notamment. Chazelles et ses habitants avaient aussi en 1793 pris le parti de Javogue ! C’est l’intérêt de son histoire pour notre région sans compter qu’il a encore dans notre pays de nombreux parents !

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Entrée de la maison de Bellegarde

Il est aussi très difficile, quand on connait son origine,  de comprendre l’itinéraire politique de cet avocat montbrisonnais, choyé par ses parents, des bourgeois montbrisonnais très honorables et respectés. Revenant comme représentant conventionnel du pouvoir central dans son pays natal, il y organise un régime de Terreur qui fera même peur à Paris.

Claude Javogues est issu d’une famille d’hommes de loi et de notaires. Il nait le 19 août 1759 à Bellegarde-en-Forez. C’est le fils de Rambert Javogues, notaire royal, avocat au Parlement, et de Jeanne Coignet. C’est l’aîné de onze enfants.

Les Javogues possèdent des terres, des offices, un niveau de vie de noble sans titre, ce à quoi ils prétendent sans le pouvoir autre qu’un mariage à venir. Ce sont des frustrés qui s’enrichissent progressivement et veulent entrer dans la noblesse. Ils s’ajoutent des particules qu’on leur enlève par décret. Aucun moyen ne leur permet de rentrer dans ce monde les nobles dont ils ont pourtant tous les traits : hôtel en préfecture et maison de campagne, charges royales : notaire royal, capitaine-châtelain de Bellegarde-en-Forez, lieutenant de juge-châtelain pour le marquis de Montrond.

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L’Hôtel particulier à Montbrison

Son père, Rambert, (1728-1808), est un peu tout cela, conseiller du roi, garde-marteau des Eaux et Forêts de Montbrison. A la Révolution, on évalue leur patrimoine à 50 000 livres, soit près de 2500 kilos d’argent pur (le lingot d’un kilo d’argent fait actuellement près de 500 euros). Il est l’un des Montbrisonnais les plus imposés.

Claude Javogues apparaît sur la scène politique forézienne en 1792, aux élections à la Convention. après la chute de la monarchie.  L’ « encore » département de Rhône-et-Loire dispose de quinze sièges. Le pays a été envahi par les soutiens de Louis XVI destitué tandis que la Terreur s’installe et que Javogue en est un chantre. Il est élu député Jean-Baptiste Dupuy, avocat à Montbrison, et Pierre Dubouchet, médecin, maire de Montbrison. Seul Javogues est roturier parmi eux. Jean-Baptiste Dupuy a épousé Madeleine Palluat de Besset et Pierre Dubouchet est marié à Jeanne Pupier de Brioude

Pour monter à Paris, il a besoin d’argent: son père l’aide et lui fait une donation qui lui permet d’emprunter. Il signe aussi un projet de mariage avec  Marie-Louise de La  Pierre de Saint-Hilaire, ce qui permettrait un anoblissement auquel il tient.  Tout cela réglé, il monte à la capitale avec ses amis, prend logement avec eux et s’inscrit aussi chez les Montagnards et au club des Jacobins.

A la mort du roi, le 21 janvier 1793, où Javogues prend une part active, car rien de ce qu’il avait prévu en alliance monbrisonnaise pour un anoblissement ne se produit par refus familial (d’où sa haine pour les nobles montbrisonnais) Montbrison se révolte contre cette décision et s’en prend très vite à la famille de Javogues : la porte de l’hôtel de rue de la Croix est peinte avec du sang. Lyon se met aussi en état de révolte. Javogues est nommé alors représentant en mission par la Terreur et revient dans la Loire qui a été formée en département. Il n’aura en tête que de venger ses parents outragés par la dégradation de la porte de la maison familiale. Il devient le chantre de l’aile gauche du Comité de Salut Public qui s’est formé pour mater les « frileux révolutionnaires » et les royalistes restants.

Quand il est dans la Loire, il y a à Montbrison 800 « muscadins », dont 300 Foréziens, commandés par le Chevalier de la Roche-Négly, Rimbert, un noble alti-ligérien qui a fait prisonnier à Saint Anthême le général Nicolas et sa troupe pour les livrer à Lyon en insurrection. Sur son trajet, il a brulé vif les paysans de Salvizinet (3 septembre 1793) favorables à la République qui tentaient de lui couper cette route. La Convention décide alors d’envoyer à Montbrison des troupes pour châtier cette autre ” petite Vendée ligérienne”. La garnison “lyonnaise” était déjà partie la veille, comme on l’a vu, en emmenant, d’ailleurs, comme otages Jeanne Coignet et Gaspard Javogues, la mère et l’oncle du Représentant en mission. Les troupes emmenées par Javogues et le général Valette se dirigent aussi sur Montbrison par Rive-de-Gier, Saint-Etienne puis Montbrison.

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Les lyonnais étant partis comme on l’a vu, il  pourchasse la colonne en passant par Montrond qu’il incendie puis Chazelles où il stoppe la colonne du général Nicolaï qu’il détruit.

CJ11Si le général Valette poursuit de son côté les royalistes allant vers Lyon,  Javogues revient à Feurs le 13 septembre 1793 puis Montbrison et Saint-Etienne où il prend tous les pouvoirs, crée les tribunaux, amène la guillotine et les pelotons d’exécution. les habitants de Feurs en gardent un souvenir terrible. Un mausolée est construit pour rappeler cette triste période. Y sont rassemblés tous les morts décidés par Javogues et son tribunal. 

On lui reprochera d’ailleurs plus tard de n’avoir pas suivi Valette. 

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Feurs devient la préfecture de la Loire. Il crée des sociétés populaires qui font mission de police de renseignement, de surveillance et d’autorisations multiples dans la plupart des communes. Ce sont les ouvriers de la Terreur.

Il instaure aussi une taxe sur les riches, recense les biens et exige aussitôt le quart de ceux dépassant 100.000 livres à payer sur le champ. Le surplus de 9000 livres mensuels est supprimé. On comprend très vite que tout cela passe très mal d’autant qu’il s’agit de décisions toutes personnelles sans concertation avec les autorités du pouvoir central.

 Claude Javogues est arrivé en 2 ans à s’attirer une haine provenant de toutes les fractions de la population y compris de celle des plus révolutionnaires tant il est habité par un désir de pouvoir absolu, souvent désordonné, sans ligne directrice autre que cette haine profonde pour une noblesse à laquelle il aspirait, qu’il n’a pas pû pénétré et qu’il veut détruire. Sa haine de la religion n’est pas, non plus, comprise.

La pire de ses erreurs sera de s’attaquer à l’Auvergne, pays voisin immédiat du Forez, représenté par Couthon, ami de Robespierre, qui avait  eu l’audace de se présenter comme le vainqueur de la sécession de Lyon. Les accusations violentes de Javogues contre Couthon  indignent la Convention comme ses méthodes.

Javogues est ainsi rappelé à Paris, le 8 février 1794. Le tribunal de Feurs et ses comités sont dissous malgré les demandes des Ligériens de conserver tout ce qui avait été mis en place. Il ne revient plus dans la Loire et dès lors va tenter de sauver sa peau dans l’enfer révolutionnaire parisien qui se cherche un nouveau patron car Robespierre est en grande difficulté, jugé trop violent par le parti montant de Lazare Carnot. Il est d’ailleurs guillotiné comme son ami Couthon, le 28 juillet 1794.

L’homme sent que le vent tourne, le jacobinisme est petit à petit laminé avec des suppressions physiques de plus en plus nombreuses. Montbrison s’en donne à cœur joie et adresse au pouvoir central tous les griefs à attribuer à Javogues qui est finalement arrêté le 1 juin 1795 puis relaché. Mais il n’a plus aucun soutien, plus d’argent, est interdit de séjour « de facto » dans la Loire où il aimerait revoir son père.

CJ7Il s’insinue dans le mouvement Babeuf qui milite en faveur d’une société égalitaire mais la structure est vite repérée comme une résurgence des Jacobins et les dirigeants sont arrêtés. Il tente alors un coup d’Etat en septembre 1796 à Grenelle avec quelques amis jacobins restants. C’est un échec cuisant dont il ressort, un des rares, sain et sauf. Mais il est arrêté quelques heures plus tard dans une auberge, conduit là la prison du Temple, jugé, condamné à mort. Il est fusillé le 10 octobre 1796: il n’a que 37 ans.

A l’annonce de sa mort, les villes de Lyon et de Feurs s’illuminèrent en signe de joie et en 1824, on construira une chapelle pour recueillir les restes des victimes de la révolution et de Javogues en particulier.

Comment défendre Javogues ?

C’est à mon avis en regardant l’état de la France en 1793 que l’on peut comprendre son action.

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http://revolution.1789.free.fr/campagne/Campagnes_1793.htm

Si l’on admet qu’il avait foi dans les principe d’égalité et de justice que pronait la Révolution, tels qu’à sa naissance, la vision de l’Etat français en 1793 était catastrophique, attaquée sur toutes ses fontères par les angleis, les prussiens, les autrichiens, les sardes et les espagnols, minée à l’intérieur par des mouvements séparatistes chouans, vendéens, par une résurgence des royalistes jamais éliminés et excités par l’exécution d’un roi qui s’est jouée aux dés, à un principe alors qu’il avait perdu tout pouvoir sauf celui d’être redevenu un citoyen, par la chasse inutile des girondins entrainant la formation du fédéralisme. Il n’y avait plus de place à la Révolution sauf à imposer « La Terreur » dans le pays. Cet excès politique peut être considéré comme une erreur mais a cristallisé une partie de la population autour d’un projet et d’un chef absolument nécessaire pour lever en masse des troupes capables de résister aux frontières, ce qui fut fait en 1793 et permit de voir apparaitre à Toulon: Bonaparte. Cette action poursuivie l’année suivante amena, avec la branche dure de la Révolution, la victoire de Fleurus,  puis en 1795 la dissolution de la 1° coalition antirévolutionnaire et l’éclaircissement des frontières. Des arguments à mettre dans la balance quand on juge cet homme autrement que par la série de dictons populaires qui le rendent imbuvable (lui qu’on traite inlassablement d’intempérant (sang ou alcool?) !

Dans le département la mémoire de Javogues reste tenace. Quand une mère ne parvient pas à calmer son enfant trop agité, elle dit : « Tu as bientôt fini de faire Javogues » ou lorsqu’il a fait passer une nuit blanche à toute la famille, elle dit : « Il a fait Javogues toute la nuit. ».

De nombreux travaux ont été écrits sur cet homme énigmatique que l’on peut retrouver sur internet:

https://fr.wikipedia.org/wiki/Claude_Javogues
https://www.forez-info.com/encyclopedie/…/408-claude-javogues-1759-1796.html
http://noms.rues.st.etienne.free.fr/rues/javogues.html
Tézenas du Montcel 1905-1906 : P. TEZENAS du MONTCEL, “Notes sur la famille de Claude Javogues, député à la Convention”, La Revue forézienne illustrée, 1905-1906.
François Gonon – Un Forézien célèbre – Claude Javogues, 1759-1796. Biographie générale – Ses actes, ses paroles – Documents officiels et particuliers. (1938)
Colin Lucas  –  La structure de la Terreur: l’exemple de Javogues et du département de la Loire