Nous avons laissé Lyon début juillet 1793 aux prises avec des décisions importantes prises par la Convention devenue Montagnarde sous l’influence de Marat. Elle veut accélérer le processus de changement impulsé par la Révolution, la disparition du Royaume de France et l’avènement de la République. Tout cela devrait être plus facile après l’exécution de « Louis Capet » (Louis XVI). A Lyon, on est très frileux par rapport au sens pris par Paris. Les Girondins ont repris en main cette ville après le bref passage des « Chaliers montagnards » alors qu’ils sont poursuivis à travers toute le France. Beaucoup de ceux qui sont arrêtés, sont aussitôt guillotinés.
D’ailleurs la tête des dirigeants lyonnais est aussi mise à prix et l’armée des Alpes, dirigée par Kellermann (le vainqueur de Valmy en 1792) qui est à la frontière franco-piémontaise pour défendre la Savoie reconquise, change d’objectif et doit venir encercler Lyon. L’ordre a été donné le 19 juillet après la mort de Joseph Chalier, guillotiné aux Terreaux par les dirigeants Girondins lyonnais, mais la troupe “piétine” et n’arrive que le 8 aout aux abord de Lyon. La ville commence à s’organiser après son refus d’obéir aux injonctions parisiennes et en prévision du blocus.
Des tractations ont lieu entre différents départements qui n’acceptent pas non plus ce raidissement des idées révolutionnaires initiales avec une tentative pour créer un front commun d’opposition. Au niveau local, la population, qui souffre beaucoup sur le plan humain des difficultés apparues dans l’agriculture et l’industrie depuis plusieurs années, se regroupe autour de chefs qui prônent la modération et le dialogue: elle veut travailler, ne veut pas cet excès d’impôt qui paralyse tout, n’accepte pas de repartir en guerre, vomit le tribunal d’exception et prête l’oreille aux discours séparatistes qui commencent à circuler. Les dirigeants locaux entament aussi des discussions avec les districts du département du Forez et notamment avec Saint-Etienne (très réticent) pour l’obtention d’armes et Montbrison (très accueillant) pour récupérer de la nourriture. Il leur est aussi demandé avec Roanne de fournir des hommes pour combattre, puisqu’il faut créer une armée qui puisse résister aux 24.000 soldats de Kellermann qui avancent.
C’est ainsi que l’« Armée de Lyon » est créée, regroupant toutes les fractions de la population et recrutée dans les districts. Elle est décrétée par la Convention comme hors-la-loi, royaliste et séparatiste. Elle est appelée sous le sobriquet de troupe de muscadins. Elle atteint très vite le nombre de 12.000 hommes dont 4000 sont de vrais soldats avec notamment 500 cavaliers.
Tous sont mis sous le commandement du général Perrin de Précy, retraité qui accepte de reprendre du service. Il est de tendance royaliste. On implante des bastions de défense devant les remparts de Fourvière et de la Croix-Rousse, au pont d’Oullins et surtout au débouché du pont en bois recemment construit sur le Rhône par l’architecte Jean-Antoine Morand pour atteindre la plaine des Brotteaux. On est alors là-bas déjà au bord de l’Isère d’où devrait arriver l’armée des Alpes.
Le 9 juillet un corps de 1 200 soldats lyonnais de la force départementale part de Lyon afin d’aller occuper Saint-Etienne et sa manufacture d’armes, il est fraichement reçu mais récupère les fusils de l’arsenal. Dans le même temps 800 hommes sont envoyés à Montbrison. Pendant deux mois cette armée va circuler dans le Forez avec plus ou moins de succès pour récupérer hommes, vivres et munitions.
Dès lors la Convention prend la décision de faire disparaitre le département de Rhone-et-Loire, Lyon est ville à abattre et est renommée “Ville Affranchie”, La département de la Loire est créé le 12 aout 1793 rendant la présence de l’Armée de Lyon totalement illégitime dans un territoire qui n’est plus le sien. Le chef-lieu est fixé à Feurs. Saint Etienne devient Armeville. La ligne de séparation ancienne fixée par le permutatio de 1173 est reprise grosso modo : on attribue à la Loire Saint Chamond au sud et un petit morceau de Beaujolais au nord. Chazelles se retrouve ainsi en juillet 1793 à la limite départementale fixée entre Rhône et Loire, comme elle l’était hier à la jonction entre Forez et Lyonnais.
Le député ligérien Claude Javogue élu en 1792, un montbrisonnais né à Bellegarde-en-Forez, admirateur de Marat, « montagnard à l’extrême », est mis a la tête d’une armée de révolutionnaires levée dans le département. Il est chargé de poursuivre les « muscadins » implantés dans la Loire qui sont devenus les ennemis de la nation. Ceux-ci se retirent rapidement de Saint Etienne , où ils ne sont pas les bienvenus, soit pour rejoindre Lyon : ils sont arrêtés et décimés à Rive-de-Gier par Javogues, soit pour rejoindre le contingent de Montbrison qui s’est organisé sur place avec l’aide bienfaisante de la population locale. C’est une troupe de 800 soldats qui est ainsi regroupée avec plus de 70 cavaliers et commandée par Gabriel-François de La Roche-Négly dit “Rimbert”. A Saint Anthème, ils ont décimé l’ armée révolutionnaire du Puy de Dôme que le citoyen général Léon Nicolas commandait et récupèrent fusils et munitions en faisant prisonnier leur chef le 1° septembre.
Il faut pourtant à cette unité de l’armée de Lyon songer à rentrer sur Lyon qui a besoin de nourriture et de munition depuis le siège effectif de l’armée des Alpes installé le 10 aout et où celle des « fédérés » commandée par de Précy résiste, selon les historiens, admirablement au général François Christophe Kellermann (Ce général est pourtant jugé par la Convention trop frileux et est suspendu puis remplacé par un chef plus violent qui accentue les bombardements).
Deux contingents sont alors formés. Un premier convoi de 4 kilomètres de long fait de charriots, munitions, vivres, prisonniers, femmes et enfants est formé et prend la route de Feurs. Il ya notamment la mère et l’oncle de Claude Javogues, habitants de Montbrison et pris en otages. Cette colonne est stoppé le 3 septembre à Salvizinet par un rassemblement de 3000 paysans favorables à la République et qui tentent de couper cette route, mais Rimbert, le chef muscadin, les massacre sans merci. Une cinquantaine de paysans, réfugiés dans une grange sont brûlés vifs dans celle-ci. La Convention organise la riposte et envoie à Montbrison la troupe révolutionnaire pour châtier la ville. Venant des départements voisins, elle y arrive le 9 septembre, au lendemain du départ du second groupe de muscadins emmené par le général Louis-Scipion Guillaume-Jean Nicolaï. D’autres éléments venant de Saint Etienne et dirigés par Claude Javogues arrivent ce même jour.
Ce sont eux qui vont poursuivre Nicolaî et sa troupe : celui-ci rentre à Lyon par la route de Chazelles après une halte à Montrond-les-Bains. Il a appris que les révolutionnaires étaient à ses trousses : la route par la montagne lui semble la plus judicieuse. La course poursuite s’engage. Arrivé à Montrond, encore avec un peu de retard, Claude Javogue (dont on a très peu d’images:son buste ci-dessous a été réalisé par le sculpteur stéphanois Emile Tournayre sur des témoignages) punit la ville qui n’a pas arrêté les muscadins, bombarde son château et le brule. Puis tandis que le citoyen-général Antoine Joseph Valette, son attaché militaire, continue la poursuite de l’Armée de Lyon avec un détachement des bataillons de l’Ardèche et du Gard, Javogue remonte sur Feurs. Le 13 septembre, il s’installe dans le nouveau chef-lieu du département de la Loire, met en place un tribunal d’exception et dirige une repression qui va être extremement violente notamment à Montbrison débaptisée et renommée Mont Brisé, et à Feurs où une guillotine est installée (Plus de 80 habitants de Feurs seront exécutés, leur mémoire est entretenue à la Chapelle des Martyrs de Feurs). Comme elle ne suffit pas, c’est au canon à grenaille qu’il punit “les coopérants”. Cette ville, comme Montbrison, gardera toujours un triste souvenir de cet enfant du Forez.
Les muscadins poursuivis par Valette, arrivés aux portes de Chazelles, sont stoppés par les habitants. C’est une ville ouvrière, toute acquise aux idées de la révolution. Elle a donné ses cloches, a son curé assermenté, son arbre de la liberté (Les habitants sont aussi en conflit incessant avec Antoine Croizier, le « roi de Chevrières » un royaliste qui veut imposer sa loi. Il sévit à quelques pas dans le canton et sur les Monts du Lyonnais, avec ses « chouans » où il organise avec d’autres paysans de son village, la protection des nobles et des prêtres réfractaires). Conformément aux ordres de Javogues, les Chazellois armés de fusils, de fourches et de piques, ferment la route de Bellegarde à la Margassière. Les Lyonnais envoient un émissaire sans succès. S’en suit un bref échange de mots qui voit les Chazellois s’enfuir ensuite sous la poussée des arrivants.
Les muscadins rentrent ainsi dans Chazelles et sont rassurés par l’attitude des habitants qui leur offrent nourriture et boissons. Mais en même temps, silencieusement et en cachette, Valette et sa troupe, arrivant de Montrond, ont pris position autour de la ville et placé des barrages. Repartis en fin de matinée, après quelques heures de repos, les muscadins tombent sur un cordon armé au Grand Chemin (route de Lyon), ne peuvent faire demi-tour dans une ville encerclée et sont massacrés les uns après les autres. Le général Nicolaï est très gravement blessé et meurt dans la prison de Chazelles après 24 heures d’agonie. Les autres prisonniers sont jugés et condamnés à mort. (Il n’est pas possible de raconter cet épisode en détail que l’on trouve dans “Mes souvenirs mémoires d’un contemporain” de Jean Baptiste Blanchon publiées par Henri Brun [membre du CA de PHIAAC] et Edouard Crozier aux Edotions de La Diana).
Quelques rescapés arriveront toutefois à rejoindre le grand convoi parti un peu plus tôt de Montbrison et qui revient aussi au chef-lieu du département (qui n’est plus que celui du Rhône). Ayant réussi à assurer leur jonction, l’ensemble de la troupe et des civils finit par rentrer à Lyon où il est accueilli comme un bienfait du ciel dans une ville qui résiste toujours. Cela redonne pendant quelques jours le moral aux habitants qui se battent contre une armée révolutionnaire de plus en plus puissante et qui utilise une puissance de feu impressionnante avec notamment des bombes incendiaires. C’est pourtant un acte de malveillance interne qui fera cesser une résistance qui ne donne jamais, depuis le début du siège, l’impression de devoir lâcher face à un blocus armé chargé de faire respecter les volontés de la Convention. La ville est très difficile à prendre et trop étendue pour que les incendies successifs aient le moindre impact. L’explosion intentionnelle du magasin de munitions met fin à l’espoir des Lyonnais qui doivent alors se rendre le 9 octobre 1793.
De Précy aura pu s’enfuir avec une petite partie de la troupe. Il se réfugiera à Sainte Agathe en Donzy avant de pouvoir rejoindre la Suisse en 1795 tandis que les muscadins échappés seront poursuivis par l’armée de la Révolution jusqu’en Beaujolais.
Le 12 octobre un décret est signé par la Convention: « Tout ce qui fut habité par le riche sera démoli ; il ne restera que la maison du pauvre…Le nom de Lyon sera effacé du tableau des villes de la République. La réunion des maisons conservée portera désormais le nom de « Ville Affranchie ». Il sera élevé sur les ruines de Lyon une colonne qui attestera à la postérité les crimes et la punition des royalistes de cette ville, avec cette inscription : Lyon fit la guerre à la liberté, Lyon n’est plus.»
Le département Rhône et Loire n’est plus, il aura duré 30 mois. Chazelles-sur-Lyon, qui aura participé à la défaite des muscadins de l’armée de Lyon, sera renommée Chazelles-la-Victoire en souvenir du fait d’armes de ses habitants en septembre 1793.
On peut retrouver dans Lyon et la région de nombreuses traces
de ces évènements tragiques de 1793 la révolte de Lyon et
qui correspondent au début de la période révolutionnaire de
la Terreur.
La chapelle des Martyrs : place du Onze-novembre 1918 -
42110 Feurs
Le château de Montrond les Bains
L'Ossuaire de la Chapelle Ste Croix 147 rue Créqui,
69006 Lyon
La maison d‘habitation de Javogue à Montbrison
La maison natale de Javogue à Bellegarde en Forez.
Musée d’histoire militaire de Lyon et sa région. Quartier
Général Frère, 22 avenue Leclerc, 69007 Lyon.
Musée Gadagne 1 Place du Petit Collège, 69005 Lyon
L’épisode chazellois est traité dans le livre de Henri Bourne,
Claude Aulagnier et les mémoires de JB Blanchon.
Le siège de Lyon est traité dans Histoire critique et militaire
des guerres de la Révolution. Campagnes de 1788-1793. 1842
tome 1 (1840) par Antoine Henri Baron de Jomini