Transportons-nous avant la Révolution à Chazelles-sur-Lyon qui ne comporte pas moins de 51 chapeliers à cette époque. Ils ont été répertoriés en 1793 par le directoire du district de Boën. Ils livrent les cloches foulées sur place aux façonniers lyonnais dont les biens ont été confisqués à la suite de la rébellion de cette ville. Un recensement des marchandises non livrées et commandées, des quantités de laine non encore traitées est aussi réalisé. On a ainsi un état assez précis de l’identité des chapeliers avec des noms aujourd’hui oubliés mais que l’on peut rapprocher familialement par la généalogie aux dernières fabriques de chapeau du milieu du 20° siècle.
On trouve ainsi des Thomas, Néel, Beyron, Morreton, Durret, Blanchon, Guillot, Pupier, Clavel, Juban, tous noms associés aujourd’hui encore à l’histoire du chapeau à Chazelles.
Nous allons tenter de nous concentrer sur l’un d’eux ; Jean Guillot et nous allons suivre le chemin parcouru par ses descendants jusqu’à nos jours. Nous avons ainsi la surprise de découvrir qu’il est à l’origine d’une fameuse fabrique de chapeaux de la première moitié du 20° siècle ; la maison Rivoire qui a fabriqué son dernier chapeau en 1958 à la Ramousse.
Jean Guillot nait à Chazelles en 1764. Il est chapelier et se marie à Benoite Juban en 1792. Antoine Guillot, un de leur fils né en 1797, devient aussi chapelier et se marie à Antoinette Morin en 1826. Le couple a au moins 5 enfants dont 3 filles. L’une, Marie Antoinette Guillot, née en 1835, se marie en 1858 avec Jacques Rivoire, né en 1836. Il est chapelier. Une autre, Claudine Guillot, née en 1844, se marie en 1863 avec Jean Antoine Pipon, né en 1830 à Coise, qui est aussi chapelier.
Jacques Rivoire et son épouse ont 4 enfants dont Antoine Rivoire né en 1859 qui devient aussi fabricant de chapeau. Il se marie en 1885 avec Marie Philomène Clavel. Ils auront aussi 4 enfants dont deux : Jean-Joseph Albert et Marie-Thérèse Michelle, meurent très jeunes. Quant à l’ainé Emile, né en 1888 : il devient aussi fabricant de chapeau alors que son frère cadet, né en 1893, est tué au combat lors de la première guerre mondiale.
De Jean Guillot à Emile Rivoire, 5 générations de chapeliers se sont donc suivies. Cet exemple n’est pas unique dans cette ville. Voilà pourquoi l’on peut dire que Chazelles-sur-Lyon a vraiment été très logtemps la cité française du chapeau.
La chapellerie Rivoire.
Quand Emile nait en 1888, son père Antoine tient la maison mais meurt très jeune. Il doit donc reprendre très vite la fabrique, à peine ses études terminées au pensionnat de Valbenoite à Saint-Etienne. Mais il est mobilisé en 1914, comme son frère Emmanuel et toute cette jeune génération qui part au “casse-pipe”: c’est la 1° guerre mondiale. Pendant que la petite entreprise est donc surveillée, semble-t-il, par leur grand-père Jacques qui assure un minimum de maintenance, Emile est fait prisonnier devant Verdun tant que son frère Emmanuel est tué au combat. Leur maman apprendra ces deux tristes nouvelles le même jour !
Lorsqu’ Emile est libéré à la fin du conflit, il rentre à Chazelles et reprend la direction de l’usine qui se trouve alors en dessous le boulevard du Nord (de la Résistance), au-dessus de la maison Robert et l’usine Provot, dans la rue portant le même nom actuellement. Il se marie alors en 1923 avec une pelaude, Jeanne Lachaud, avec qui il aura trois enfants dont Albert né en 1931.
La Maison Rivoire prend vite de l’ampleur sous sa direction et avec la relance de l’économie dans l’après-guerre, l’amélioration des capacités de production avec l’électricité, la vapeur, le tramway et le train. Il doit très vite envisager un agrandissement qui apparait difficile dans ce quartier alors que Jules Blanchard, autre chapelier, envisage, lui-aussi, son extension en se déplaçant de la Ramousse (Rue Jean Jaurès) à la route de St-Galmier où il fait construire usine et demeure (château Blanchard actuel). Emile saute sur l’occasion.
Nous sommes en 1924 : la transaction est difficile, et malgré de nombreuses difficultés familiales côté Blanchard, notre chapelier prend possession de la maison de maitre telle qu’on la connait encore aujourd’hui et de l’usine attenante où la production va vite continuer à grandir. C’est le droguiste Vicard de Montbrison, grand ami d’Emile, distributeur des produits chimiques nécessaires aux chapelleries qui prend alors la place de la Maison Rivoire sur la rue Provot. Une partie est aussi récupérée par la maison Robert.
L’usine Rivoire, dès lors installée au début de la Ramousse comme l’usine France un peu plus loin, va aller au contact de celle appartenant aux Pupier-Peronnet au nord et tenter de toucher la rue Besson à l’est. Elle va occuper jusqu’à une centaine d’ouvriers et ouvrières, ne fabriquant que du chapeau de poil animal. La production journalière pourra atteindre 400 cloches. Le chapeau est livré encartonné, prêt à l’usage, toutes finitions réalisées. A partir de 1948, Albert, ayant arrêté ses études à Valbenoite, prend progressivement la place de son père après avoir travaillé à tous les postes successifs, nécessaires à la fabrication du chapeau et pour les maitriser. Emile est en effet de plus en plus occupé par ses nombreuses charges sociales et municipales. Il est aussi président du syndicat des patrons chapeliers, 1° adjoint au maire. Tout cela ne lui laisse plus beaucoup de temps et il passe la main.
Images de la chapellerie Rivoire (prêt Albert Rivoire)
A partir de la deuxième moitié du 20° siècle, l’usine va subir de plein fouet, comme les autres, la disparition rapide de l’utilisation du chapeau. Anticipant la fin inéluctable de la chapellerie, Emile Rivoire et son fils Albert ferment plus tôt que d’autres l’usine et livrent leurs derniers chapeaux en 1958. Une partie du matériel et du stock de poil animal sera reprise par la maison Ecuyer.
Si vous passez par la rue Jean Jaurès, arrêtez-vous devant la belle demeure au toit en partie ardoisé, (qui fût la première maison de Jules Blanchard avant qu’il ne se fasse construire par des italiens son beau château “Art Nouveau”, route de Saint Galmier, aujourd’hui hôtel-restaurant étoilé) imaginez-vous une usine remontant vers le Centre des Finances au nord et la rue Besson à l’est, mettez au beau milieu de cet espace une cheminée monumentale crachant sa fumée noire comme on en trouvait dans tout Chazelles, rajoutez-y une corne délivrant matin, midi et soir sa tonalité sonore spécifique, posez à quelques distances un kiosque à musique sur la place Poterne, imaginez une gare d’autobus au tout début de la rue, un hôtel-restaurant animé de l’autre côté, des épiceries, une charcuterie, et vous avez le visage de ce quartier dans les années 1950.
Cartes postales de la Ramousse (Rue Jean Jaurès) collection M. Valla et R. Pupier
Tout a bien changé, c’est sûr !
Merci à Jean Bailly pour ses recherches généalogiques toujours les bienvenues. Elles aident beaucoup dans le développement des sujets. Merci à Albert Rivoire de nous avoir consacré autant de temps et fourni autant de documents.