Mairie et cure sont des fonctions souvent confondues avec le lieu de leur exercice: l’Hôtel de Ville pour les citoyens et le presbytère pour les paroissiens autour d’une unité administrative qui a longtemps été la paroisse avant de devenir la commune après la Révolution. Est ce pour cela qu’un jour du début du XX° siècle le presbytère de Chazelles est devenu son Hôtel de Ville? Mais non bien sûr: il a tout de même fallu des lois pour qu’un maire puisse lorgner sur une cure largement et richement dotée avec l’idée d’y transporter sa « mairie » toujours à l’ombre de l’immense clocher de l’église et devenue trop petite pour sa commune, le nombre de citoyens dont il a la charge ayant fortement augmenté. C’est ce qui s’est passé en 1907 à Chazelles-sur-Lyon.
Le maire.
Le maire apparait très tôt dans l’histoire de la France. C’est un administrateur de village qui exerce pour le compte du seigneur dont il dépend. Dès le X° siècle on parle alors d’un maïor, adjectif dérivé du latin (encore une fois !) major : c’est le plus grand personnage de la communauté. L’adjectif devient nom et nait ainsi le maire qui va assurer l’administration des biens dans les communes et appartenant à différents propriétaires terriens. Cette fonction se développe progressivement et devient une charge qui s’achète au XV° siècle. Puis elle disparait sous la pression du pouvoir royal central qui impose la prévôté aux villes et villages avec son contingent notamment de juges, prévôts, lieutenants, procureurs, greffiers et huissiers.
Cette charge « revient » en ville avec la Révolution française suivie de la 1° République qui installe des agents municipaux ou maires dans les communes, élus au suffrage direct (les éligibles habitent la commune et doivent payer un impôt au moins équivalent à dix journées de travail) pour 2 ans et rééligibles par les citoyens actifs de la commune (les électeurs habitent la commune et doivent payer un impôt au moins égale à 3 journées de travail). Les premières élections municipales ont lieu en février 1790. Plus de 40.000 maires (autant que de curés et de paroisses !) sont élus. Ils vont alors porter, dans l’exercice de leurs fonctions et comme marque distinctive à l’image du curé ceint de son écharpe de soie noire, une ceinture faite d’un ruban tissé aux trois couleurs de la nation, bleu, rouge et blanc, attachée d’un nœud, et ornée d’une frange de couleur d’or que l’on connait tous et portée aujourd’hui à la taille ou à l’épaule.
De nombreuses modifications dans la désignation du maire sont intervenues depuis cette époque : actuellement, le maire est élu par le conseil municipal pour un mandat de six ans renouvelable. Cette fonction ne peut être exercée que par un citoyen français titulaire de ses droits civils et civiques. Il est secondé par des adjoints également choisis ainsi. Après la réforme introduite du 17 mai 2013, ce conseil municipal, élu au suffrage universel, est désigné au scrutin majoritaire plurinominal avec panachage pour les communes de moins de 1 000 habitants et d’un scrutin proportionnel de liste avec prime majoritaire, pour les communes plus importantes.
Le maire préside, en France, le conseil municipal, dont il organise les travaux et exécute les délibérations. Il dispose également d’importants pouvoirs et de responsabilités propres, telle que la responsabilité des activités de police municipale, ou la responsabilité de la gestion du personnel communal. Il est également le représentant de l’État dans la commune et, à ce titre, est officier d’état civil et officier de police judiciaire.
La mairie.
Ce n’est pas la maison du maire mais sa fonction. Mais on emploie aussi communément ce mot pour désigner le lieu où sont administrées les affaires de la commune. Le terme Hôtel de Ville convient donc mieux et éviterait toute confusion. D’ailleurs c’est ainsi que l’édifice est nommé sur sa façade à Chazelles.
Quelques maires de Chazelles.
Le premier maire à exercer cette fonction en 1789 dans la commune se nomme Mathieu Blanchon, fermier du domaine de Montfuron. Il est élu en 1791 député du département de Rhône et Loire
Il fait donc suite au dernier commandeur de la ville : Gaspard de Richardière de Besse qui avait pris ses fonctions en 1782. Le château étant devenu bien national, il était parti de Chazelles en 1790. Il est mort guillotiné en 1793.
Malgré la grande instabilité politique de cette période on remarquera la présence à cette fonction de Pierre Venet, arrivé sous la Terreur en 1793 et remplacé seulement en 1812 sous l’Empire par Jean Baptiste Delay. Les mandats seront remplis par la suite par des chazellois aux noms “bien de chez nous”, notamment Delorme, Besson, Véricel, Pupier…
C’est en 1871 qu’Eugene Provot, un alsacien de Wasselonne, arrive à Chazelles. Il se marie avec Bénédicte, une fille de Jean Marie Néel, un maire nommé par le préfet en 1870. Eugène Provot va créer la Manufacture Française Industrielle de Chapeaux et Feutres de Laines. En 1878 il est élu maire. Il assurera cette fonction de façon quasi constante (démission en 1883 mais réélu en 1884) jusqu’en 1896. Il sera à nouveau nommé plus tard entre 1909 et 1919. Ses 27 ans de mandat sont à rapprocher des 28 années de fonction d’Etienne Peronnet entre 1919 et 1941, le recordman de la longévité à ce poste (?). Le 3° homme du podium est Armand Bazin, lui aussi avec 27 ans d’exercice entre 1944 et 1947 puis entre 1959 et 1983.
On évoquera aussi Max Fléchet, plusieurs fois maire de la ville et pendant 15 ans, nommé longtemps sénateur et appelé comme secrétaire d’État aux affaires économiques entre 1959 et 1962, Antoine Pinay, son ami, était alors ministre des Finances sous le gouvernement de Michel Debré.
Mais il est un autre maire dont il va être question dans ce petit article. Jules Ferrier est élu en 1900, il le sera à nouveau en 1904. C’est un patron-chapelier, c’est un chrétien protestant. Son usine se trouve sur la rue de la Gare (la dernière cheminée étêtée de Chazelles, fin mars 2015, en est un vestige). Il habite dans un petit château (chateau KLG, puis Vartet puis Roche plus tard) en face de l’école publique des filles au bord d’un parc prêté au presbytère. C’est lui qui va déplacer la mairie sur son lieu d’aujourd’hui.
Quelle est la situation en 1907 ?
L’Hôtel de Ville se trouve à l’angle de la rue de l’Église et de la place éponyme (aujourd’hui c’est le Crédit Agricole, ce fût la boulangerie Augay ou bien avant l’épicerie Bonnier).
Le bâtiment de la cure se trouve rue des Écoles dans une propriété entourée d’un beau parc. Cette demeure dite “Maison Neuve” avait appartenu à Antoine Pupier qui l’avait vendu en 1802 aux époux Bissy. En 1807 Jean Baptiste Galland, nouveau curé de Chazelles (il sera à l’origine des importantes transformations de l’église en 1820 ; nous évoquerons dans autre article quelques figures remarquables du clergé qui ont marqué Chazelles) demande à la municipalité qui subvient à ses besoins de loger dans cette maison qui est à louer pour le somme de 500 francs annuels. La proposition est acceptée par le maire de l’époque, Pierre Venet. En 1830 la municipalité de Louis Delorme fait l’acquisition de cette “Maison Neuve” (qui devient officiellement le presbytère) à la suite de dons et ventes multiples ayant rapporté 31.000 francs dont un don de 8000 francs du curé. Elle achète aussi la propriété Buer (aujourd’hui l’hôpital avec le jardin public). En 1854 la municipalité de Claude Besson donne aux curés la jouissance du parc provenant de l’acquisition Buer antérieure.
Le transfert progressif.
Cinquante ans après la décision de son prédécesseur Claude Besson et en 1904, Jules Ferrier, alors maire, récupère le parc attenant au presbytère pour en faire un lieu de détente et d’agrément au profit des travailleurs. Il le fait aménager et arboriser par Mathieu Berne, jardinier, qui plante notamment des cèdres et un araucaria ou “désespoir du singe”. (Le père Stéphane Berne, missionnaire mariste en Nouvelle Calédonie, a donné deux pieds de cet arbre exotique ramenés de la grande île, très rares pour l’époque: l’un pour le nouveau jardin public et l’autre pour le jardin de son frère Mathieu situé route de Bellegarde. Les deux sont morts il y a quelques années et en même temps: ils avaient été plantés la même année! S’étaient-ils donné le mot ? Restons humbles, on ne sait pas tout !).
C’est la période pendant laquelle il y a des discussions portant sur la séparation des Églises et de l’État et le climat social et politique est très tendu. Les congrégations enseignantes sont parties de France en 1904 et on a commencé les inventaires dans les bâtiments religieux. En 1905 la loi finale de séparation préparée par Emile Combes est votée en remplacement du régime de Concordat datant de 1801. Puis en janvier 1907, par une nouvelle loi, les communes, notamment, recouvrent la libre disposition des presbytères. Aussitôt la municipalité, sous l’autorité du même Jules Ferrier, récupère la Maison Neuve occupée par le clergé de la paroisse pour y installer la mairie au prétexte que les services sont trop à l’étroit dans la maison de la place de l’Église. Le maire n’a plus selon la législation à se préoccuper de la situation matérielle du curé qui doit retrouver un toit.
Ensuite…
Le presbytère va se transporter dans une maison située sur la Grande Rue, près de l’entrée de l’hôpital…
…et pour la petite histoire: quand Jules Ferrier meurt en 1925, le curé Jacques Planchet, qui est arrivé à Chazelles en 1921, interdit (!) aux catholiques pratiquants d’aller à son enterrement au prétexte qu’il serait protestant! Le clergé avait à l’époque la dent longue! Les choses ont bien changé heureusement depuis cette époque. Aujourd’hui le dialogue est permanent pour le grand bonheur des paroisses et des communes.
Plus tard, la famille de l’un des maires, qui a précédé cette période et qui a été réélu ensuite, “répare” (?) les dégâts occasionnés par cette expulsion. En effet une fille d’Eugène Provot va donner la maison de la rue de Lyon au clergé qui en fait le presbytère que l’on connait aujourd’hui. La petite grille en fer forgé protégeant l’imposte avec les initiales entrelacées EP est là pour le rappeler.
L’Hôtel de Ville, lui, n’a pas changé d’allure générale depuis 100 ans mais s’est adapté à l’intérieur aux nouvelles contraintes de travail, gardant cependant ses belles salles de réception telles qu’elles étaient hier.