On en distinguait – comme dans la nature – trois catégories :

lapin 2CLAPIER. 

provenant des peaux de lapins domestiques ramassées chaque semaine dans chaque village par des « patères » qui les revendaient à des grossistes. On retrouvait ensuite ces peaux sur des foires spécialisées. Regroupées en lot elles étaient proposées aux acheteurs des coupeurs de poils.

Les peaux étaient traitées chez des coupeurs de poils et  les Ets FLECHET se servaient principalement chez  Ets JOURDE d’AUXERRE et Ets JOURDE de LOKEREN en Belgique…

Mais ceci est une autre longue histoire.

On peut dire que le CLAPIER était le poil courant utilisé pour la grande majorité des chapeaux homme et femme, et des cloches utilisées par les façonniers et les modistes.

lapin1GARENNE

provenant des peaux de lapins de garenne qui  colonisaient les campagnes en très grand nombre avant l’introduction de la myxomatose [1].

Le poil de GARENNE était un poil très court et très fourni qu’il était impossible de tirer au carrelet ou à la peau de chien mais qui présentait une très grande douceur au toucher du produit fini.

Il était donc utilisé principalement pour les belles qualités de chapeaux homme, en uni.

 

lapin 3LIÈVRE ou ARÊT

provenant des poils de lièvres de tous les pays  d’Europe mais plus particulièrement de l’Europe centrale.

Le poil de LIEVRE  – était un poil très long que l’on pouvait tirer au carrelet ou à la peau de chien pour réaliser des finitions de velours plus ou moins long, de satin, d’imitation fourrure.

Il était utilisé pour les chapeaux de femmes fantaisie en velours satin ou imitation fourrure. On l’utilisait également en quantité dans la fabrication des cloches velours, satin ou imitation fourrure destinés aux modistes et autres fabricants de chapeaux du monde entier.

SECRETAGE Les poils étaient rasés sur la peau et recevaient un traitement appelé secrétage qui devait leur permettre de se feutrer entre eux pour constituer une sorte de tapis. D’après ce qui m’a été expliqué, pendant l’opération de foulage – main ou machine – le produit de secrétage combiné au bain d’eau bouillante additionné à 5% – quand c’était pas au pif – d’acide sulfurique  faisait éclater le canal des poils qui  devenaient on pourrait dire « hirsutes » et pouvait ainsi s’agglutiner, ou plus exactement se « feutrer » entre eux. Le secrétage était primitivement réalisé à l’aide de mercure [2] mais ce produit fût rapidement abandonné en raison des dangers qu’il engendrait. – Syndrome de l’éréthisme (perte de mémoire, timidité, insomnie, parfois délire) – Peut être l’origine de l’expression « travailler du chapeau » est-elle à chercher dans cette direction ?

alic

Les Aventures d’Alice au pays des merveilles (1865) de Lewis Carroll (1832-1898) passant ses journées à prendre le thé aux côtés du Lièvre de Mars. Gravure de   J. Tenniel en 1865. L’homme au chapeau était atteint d’hydrargisme ?

VEULE – Pratiquement tous les poils étaient secrétés, sauf ceux destinés à faire de la mélusine, il fallait utiliser du poil non secrété que l’on appelait poil veule. Ce poil veule ne se feutrait pas. Je ne connais pas bien la technique de fabrication de la mélusine qui consistait à obtenir un tapis soyeux à partir d’un support en tissu et du poil de lièvre veule.

PARE – Pour les belles qualités de poils en clapier mais aussi en garenne et lièvre, les coupeurs pouvaient livrer le poil paré. Après avoir rasé les poils sur la peau, ces poils n’étaient pas mélangés mais au contraire conservés avec la forme de l’animal, le ventre replié sous le dos. Lorsque on ouvrait un sac de poil « paré » on se trouvait pourrait-on dire devant un tas de petits lapins, posés les uns à côté des autres.

EBARBÉ – EJARRÉ Les poils clapier pouvaient être demandés débarrassés de leurs jarres. Les jarres sont des poils épais et grossiers nuisant à la qualité finale. Ces jarres pouvaient être soit rasés, on disait « ébarbé » soit arrachés, on disait « éjarré » Je ne me souviens pas par contre avoir entendu parler d’éjarrage pour les poils de garenne ou de lièvres…. mais ?

NON EJARRÉ – On pouvait également demander les poils tels quels pour des qualités moyennes en finition et bon marché. On précisait à la commande « Non Ejarré »

P.C.T.C. – C’était le tout venant en clapier, le sigle PCTC voulant dire « Petit Clapier Toutes couleurs » . Acheté en éjarré et non éjarré.

PETIT BON – C’était la qualité supérieure en clapier. Et dans cette qualité on utilisait principalement deux nuances de la gamme clapier : le Blond et le Gris, éjarré bien entendu.

GAMME  CLAPIER – Selon la teinte finale à obtenir à la teinture  – plus la teinte finale était claire plus le poil devait être clair au départ – ou pour faire de savants mélanges, on pouvait choisir parmi les 12 nuances de lapins domestiques proposés par les coupeurs: GRIS /BLOND / ROUX / NOIR / JARDINIER / CENDRE / CHINCHILLA / BARIOLE FONCE / BARIOLE CLAIR / BARIOLE TRES CLAIR / NANKIN / BLANC

PUR DOS / COURONNE – Ces deux appellations concernent le poil de lièvre, je ne me rappelle pas les avoir entendues à propos des clapiers ni même du garenne. Il s’agit de l’emplacement du prélèvement des poils sur la peau du lièvre. En couronne, c’est-à-dire sur la nuque et sur les omoplates, le poil était particulièrement dense et fourni et on avait là le summum de la qualité en lièvre. Le pur dos c’était tout le reste mais sans le ventre cependant, la qualité était sans doute un peu moins belle – à condition toutefois d’être un fin connaisseur –

CHINE  Là il ne s’agit plus d’une qualité de poils, mais de poils – en général clapier –  qui sont d’abord teints dans différentes nuances du clair au foncé et ensuite utilisés en mélange  pour la fabrication de cloches ou chapeaux à l’aspect chiné.

Henri Montard

En complément:

[1] La myxomatose est une maladie virale effectivement introduite en France en 1952 dans un enclos domestique et destinée à éradiquer les lapins de garenne nuisibles qui détruisaient les cultures. Le résultat à été au-delà des espérances…puisqu’il a provoqué une épizootie mémorable sur tout le territoire.

[2] Le mercure,  autrefois appelé vif-argent ou argent liquide, dont le symbole chimique est Hg, est un métal lourd, liquide brillant argenté de numéro atomique 80 dans la classification de Mendeliev. A température ambiante, sa forme pure, le mercure élémentaire a tendance à former lentement des vapeurs de mercure au contact de l’air.

Très tôt, le mercure est employé dans la dorure pour plaquer le cuivre et le laiton sur des ouvrages d’ornement, pour faire des miroirs (les glaces au mercure) et en chapellerie. Le mercure était alors utilisé sous une forme saline par dissolution dans l’acide nitrique. C’était un procédé « secret »  utilisé par les fourreurs et les chapeliers flamands huguenots (d’où le nom de secrétage) et introduit en France au début du 18° siècle.  On utilisait « l’eau forte » du chapelier par dissolution de « 1500 grammes de mercure dans huit litres d’acide nitrique » que l’on appliquait à la brosse sur les peaux de lapins avant le rasage. Bien entendu, à la suite de ce traitement, le poil contaminé rendait progressivement son mercure lors de toutes les étapes de la fabrication du chapeau et notamment au foulage. Le chapelier de Chazelles subissait cette contamination par ce poil utilisé mais traité en amont.

Ce métal est un puissant neurotoxique sous ses formes organométalliques : le mono-méthylmercure et le di-méthylmercure, ou ses sels comme le calomel ou le cinabre…et sous sa forme liquide en elle-même. L’empoisonnement au mercure correspond à l’ hydrargisme.