Pendant toute cette période de 1889 à 1887, Alexandre Séon est professeur titulaire des écoles de de la Rue de Meaux et de la Place de Bitche, ce qui lui assure un salaire de 2400 francs.
Toujours très idéaliste, convaincu d’aller dans le bon sens sur le plan artistique, cependant de plus en plus isolé et aigri par la longue liste d’œuvres invendues, il se tourne en 1898 vers Georges Deherme, un ouvrier sculpteur sur bois et typographe, libertaire français, dont il devient le collaborateur.
Ce dernier, afin d’encourager la culture populaire, a fondé en 1895 la revue La Coopération des idées et ouvert un local dans le XI° arrondissement de Paris où il a installé une université populaire bâtie autour de travailleurs sans parti ou groupement politique. Dans le cadre de cet enseignement, Alexandre Séon devenu rapidement collaborateur organise des conférences sur l’Art pour les ouvriers et des visites au Musée du Louvre. En 1899 : « La Coopération des Idées » est transférée rue du Faubourg-Saint-Antoine dans le II° arrondissement et un programme national de création de ces structures est lancé autour de la nouvelle «Société des universités populaires» fondée la même année. Elles seront au nombre de 124 en 1901 ! Cette initiative va permettre de combler rapidement le fossé qui s’est créé entre des enfants obligatoirement scolarisés avec les lois de Jules Ferry et la génération des adultes qui en sont les parents et n’ont pas eu accès à l’enseignement public. Notre peintre participe à l’édition ; la même année, d’une brochure comportant 4 de ses œuvres et qui a pris le nom de « L’imagerie artistique populaire » : il concrétise ainsi cette phrase dont on lui attribue la propriété :
« Il faut établir le culte de la Beauté. Crier tous les jours la nécessité du beau en tout, pour la dignité de la vie du citoyen et la grandeur de la Cité. Alors, peut-être les riches se sentiront-ils les frères des pauvres ».
Dans le même esprit, il ouvre une salle en forme de Musée rue du Faubourg Saint Antoine où il expose ses œuvres. En 1900, il va même jusqu’à faire proposer par un conseiller municipal de Paris l’ouverture d’un Musée populaire pour des œuvres d’ouvriers-artistes dans le cadre du Petit Palais, idée finalement repoussée.
Sur le plan artistique personnel il continue à alimenter de ses toiles et dessins les divers salons de peinture, à Paris en province et Bruxelles. Il participe aussi à des manifestations d’Art Sacré. Il expose régulièrement aux Salons de Rose+Croix dont la dernière édition a lieu en 1897.
Mais ses prises de positions très engagées et polémiques le rendent de plus en plus isolé et ses tentatives de percée dans le milieu forézien sont suivies d’échec d’autant que Félix Thiollier, qui l’avait soutenu il y a quelques années, s’est éloigné de lui en raison de son caractère. Pourtant, petit à petit, il acquiert une grande notoriété à l’étranger et notamment en Belgique, en Russie, en Suisse et en Roumanie. Il peut pourtant compter aussi sur l’appui de la “Revue Forézienne” qui ne le lache pas mais n’arrive pourtant pas à se faire admettre par le forézien et châteludaire Marius Vachon, critique d’art alors au firmanent et pourtant très proche de lui dans les idées. C’est en effet lui qui a crée le Musée d’Art et d’Industrie pour exhaler le travail d’artiste des ouvriers du ruban et des armes notamment.
Ses séjours de plus en plus longs et fréquents sur l’île de Bréhat lui donnent l’occasion de peindre de nombreux paysages marins dans lesquels il introduit ses personnages mythiques, mystiques et symboliques. Les rochers rouges et la mer verte ou bleue aux tons variés font merveille pour donner un cadre à ses adolescents, vierges, sirènes et muses symboles de douleur, pensée, prière, récit ou lamentation. Les formats des tableaux et les lignes du dessin sont aussi utilisés pour accentuer les sentiments.
Expulsé en 1901, il fait construire très rapidement une nouvelle maison-atelier rue Yvart dans le XV° arrondissement malheureusement mal éclairé qui l’empêche de travailler. Il doit chercher un autre local qu’il trouve l’année suivante .
C’est à partir de 1904, qu’il va trouver un semblant de consécration avec une commande importante : la décoration de la Chapelle du Château de l’Orfrasière qui est en construction. C’est la famille de Wendel qui mène cette entreprise et la comtesse lui propose ce travail.
Le château se trouve en Touraine et l’artiste doit demander à la ville de Paris un congé sans solde pour pouvoir effectuer ce travail, ce qui lui est accordé. La réalisation de cette oeuvre monumentale prendra près de 3 ans et sera inaugurée dans l’été 1907. Le produit de son travail lui permettra l’année suivante de modifier son habitation et de la surélever pour y inclure un nouvel atelier, enfin lumineux.
Dès lors, les salons d’exposition se suivront invariablement jusqu’en 1913. Il y expose régulièrement ses dessins et huiles mais sans beaucoup de succès. Devenu de plus en plus isolé et rancunier, il finit par se heurter à la direction de l’enseignement de la Ville de Paris qui le pousse alors à partir.
La guerre éclate avec ses premiers morts, parmi lesquels des amis du peintre. Il ne se fait pas à ce conflit, pénétré d’idéalisme. Il est admis à la retraite en 1914. Il tombe malade, souffre de l’estomac, est effrayé par les nouvelles de la guerre, devient atrabilaire, neurasthénique. Sa peinture s’égare devient triste et noire. Il meurt très vite en 1917 à 61 ans et ne saura pas que finalement il avait acquis une grande notoriété puisque de nombreux journaux vont au lendemain de son décès faire son éloge comme:
“un des grands peintres de l’époque à l’originalité indéniable qui laisse de grandes toiles auxquelles la postérité rendra justice”.
Que retenir de ce peintre ?
Certainement son sens de la continuité, ce qui l’empêchait d’aller au compromis. Alexandre Séon est un idéaliste et refuse les effets de mode. Il est fidèle en amitié. Il ne change pas d’amis, il les conserve. Ce sont eux qui s’éloignent de lui, quand, à leurs yeux, il dérange.
Son dessin est assuré, il en est fier. Son travail est dirigé et s’appuie sur un travail de recherche personnel dont il ne s’écarte pas. C’est un travailleur consciencieux. Sa technique en est la preuve. Ses peintures sont pleines de lumière, aussi lumineuses que son cerveau illuminé, sans aspect péjoratif, ce qui lui permet de côtoyer des personnages aussi fantasques que Sâr Péladan, aussi secrets que Erik Satie, aussi fermés que Georges Seurat.
Nul ne sait pourquoi il n’a pas percé en France ou au moins dans son Forez et ses monts du Lyonnais. Est-ce le seul effet d’un caractère difficile, sans ouverture, ignorant les concessions ? Est-ce la faute à une peinture beaucoup plus intellectuelle que celle, très allégorique et mieux lue, du maitre : Pierre Puvis de Chavannes.
Alexandre Séon serait un catholique social et progressiste si on le désignait aujourd’hui, un communiste au sens égalitariste sans le savoir, un anarchiste parce qu’antiautoritaire. Il est né trop tôt dans un monde en plein changement. La révolution a été menée par l’industrie qui n’avait d’yeux que pour la vapeur et l’acier et l’ouvrier a découvert qu’il pouvait faire beaucoup plus avec énormément moins d’effort. De la sorte les exhortations du peintre pour un retour aux valeurs et formes de pensée d’hier, à la religiosité s’avèrent inefficaces devant ce modernisme éblouissant. Les vierges et nymphes voilées ou non vont apparaitre bien désuètes dans cette ambiance où la femme s’émancipant, va bientôt porter le pantalon les cheveux au vent. On l’exhume aujourd’hui car il correspond plus à notre époque : la tendance est à lever le pied de l’accélérateur. On revient vers des valeurs anciennes : le symbolisme vivrait plus aujourd’hui qu’il y a un siècle et demi.
Personnellement j’aime beaucoup cette peinture qui ne déborde pas et n’envahit pas. Elle est constamment calme : le plus tourmenté de ses héros reste serein, attendant souvent le secours du ciel. Les « yeux » d’Alexandre Séon sont calmes, sinon cachés ou fermés. Ses «mers» et ses rochers n’inquiètent pas. On est dans un monde idéal où même les têtes sans corps sont sereines. La vieillesse n’existe pas, les corps sont jeunes.
Les décors et les personnages sont souvent fleuris : on y devine l’influence de l’Art Nouveau. Mais la construction des toiles est très géométrique : présage d’un Art Déco naissant plus sage avec le retour à une certaine rigueur.
J’aime aussi son idéalisme social qui le rend très humain. Il a sû transporter son rêve dans le quotidien des ouvriers auxquels il tenait beaucoup en s’y assimilant, propager sa Beauté dans les couches sociales les plus basses pour les rehausser. On a dit de lui que c’était un missionnaire de l’Art.