Nous vous proposons un texte peu connu sur l’histoire de l’industrie du chapeau écrite par Nicolas Beyron, patron-chapelier et figure incontournable de Chazelles pendant plus d’une moitié du 20° siècle, personnage très altruiste et largement impliqué dans le développement de la Mutualité Sociale ligérienne , mais aussi âme de l’Amicale Laïque et  de sa section bouliste (un Trophée Nicolas Beyron est régulièrement organisé au Grands Prix Boulistes).  On lui doit aussi une petite histoire de la ville d’une quarantaine de pages que nous vous proposerons, quand tout aura été transcrit, dans une forme à décider.

Ces quelques notes  rejoignent dans leur contenu les écrits d’ Hyppolite Bourne* qui s’arrêtent à la première guerre mondiale ou ceux récents d’Eliane Bolomier**, conservatrice de l’Atelier-Musée du chapeau, sis dans cette ville, et que nous vous encourageons vivement à visiter tant la scénographie y est didactique et exemplaire.

On y trouve en effet en complément quelques précisions utiles, quand elles proviennent de la main d’un maitre-chapelier, pour établir la chronologie de l’installation et de la disparition de la chapellerie  à Chazelles. La retranscription est intégrale, non modifiée.

 

L’INDUSTRIE de la CHAPELLERIE A CHAZELLES s/ LYON par Nicolas Beyron (1898-1973) .

nicobey

Nicolas Beyron en 1954

L’industrie de la Chapellerie doit remonter au XVI° siècle, bien que la tradition ne la fasse remonter qu’au XVII° siècle. Les registres de l’année 1602 font mention d’un sieur JEHAN DUMONT qualifié de chapelier, ce qui prouve déjà l’existence de cette industrie à cette époque. Il est fort possible que ce chapelier (ce qui prouve) ne soit pas le premier : nous pouvons donc croire qu’elle remonte au-delà du XVII° siècle, les archives communales fournissent beaucoup de noms de chapeliers. Il existe un procès-verbal du 7 pluviôse en IV (5 février 1794) réquisitionnant tous les chapeaux se trouvant chez les Fabricants pour coiffer les volontaires devant aller à la frontière. Ce procès-verbal mentionne qu’il a été trouvé chez les trente-six Fabricants 1200 chapeaux et 400 à 500 Kilos de laine, réservés pour même destination.

Il parait que la situation de cette Industrie : si prospère antérieurement à 1790, ne s’était pas maintenue et que la fabrication était loin de s’être accrue. Les produits actuels disait DUPLESSIS en 1828 atteignent à peine le huitième de ceux qu’elle donnait en 1790 ; cet état de stagnation continue depuis 1793, et, si l’on s’aperçoit de quelque variation, elle a eu lieu dans un sens rétrograde.


nic beyron
Il semblerait résulter des renseignements et souvenirs que jusqu’en 1855, la fabrication était restée dans les limites restreintes de la consommation de huit ou dix départements environnants. Les chapeaux étaient vendus aux grandes foires, qui se tenaient autrefois dans diverses villes, notamment CLERMONT, LIMOGES et NEVERS.

Vers cette époque des Maisons Lyonnaises, qui sous le titre de Fabricants de chapeaux faisaient voyager non seulement en France, mais dans toute l’EUROPE, venaient à CHAZELLES tous les Lundis acheter les marchandises fabriquées pendant la semaine. Ces chapeaux livrés à l’état de cloches, étaient dressés et garnis à LYON, d’où on les expédiait dans le monde entier comme chapellerie Lyonnaise.

La facilité de la vente et le grand nombre de Maisons fondées successivement, PARIS, LYON et autres villes importantes se disputant chaque semaine la marchandise fabriquée, CHAZELLES est amené à développer cette fabrication qui de : 5000 chapeaux par semaine en 1850 s’élevait à 20.000 vers 1870.

En 1871, une maison nouvellement installée (Ets. PROVOT) a commencé à livrer le chapeau garni : par sa production relativement importante, les intermédiaires ont été paralysés dans leurs débouchés, insensiblement toutes les Maisons de Chazelles ont été amenées à garnir et livrer directement au détail et à l’exportation.

Cette fabrication qui occupe à cette époque environ 2000 ouvriers s’est transformée complétement par suite des procédés mécaniques.

nico beyrDe 17 Maisons existant en 1871 et produisant annuellement 1.500.000 chapeaux en feutre poil et en feutre laine (2/3 en poil et 1/3 en laine) plusieurs ont disparu et bien peu sont ce qu’elles étaient à cette époque. Après diverses transformations les autres ont pris un développement considérable, qui fait de CHAZELLES le premier centre manufacturier de chapellerie de France et l’un des principaux du monde entier.

CHAZELLES expédie vers 1895/1900 dans toutes les directions environ 60.000 chapeaux par semaine.

A la déclaration de guerre de 1914, quelques usines ont dû fermer, le ou les Patrons étant mobilisés. Pendant toute la durée de la guerre de 1914 à 1919, les affaires en chapellerie furent prospères. De 1920 à 1925 plusieurs petites usines de chapellerie virent le jour. Avec les anciennes on en comptait 28 avec un effectif de 1800 personnes environ. C’est vers l’ANGLETERRE qu’était expédié une grande partie de la production des plus grandes usines. Il y eut toutefois un sérieux ralentissement par suite de la dévaluation de la Livre Sterling en 1930. C’est vers 1935 que quelques petites Maisons commencent à disparaitre.

Pendant la guerre de 1939/1940  et sous l’occupation Allemande jusqu’en 1945, les affaires furent assez florissantes et les autorités occupantes obligeaient les Fabricants en chapellerie à fabriquer pour leur compte des chaussons en feutre poils (les matières premières étaient fournies par eux) pour mettre dans les bottes de leurs soldats qui se battaient sur le front Russe. C’est à partir de 1950 que les affaires devinrent mauvaises et plusieurs Maisons durent fermer leurs portes. D’années en années la vente du chapeau diminua dans le monde entier à tel point qu’en 1965, il ne restait à CHAZELLES plus que 7 Maisons : les Ets FLECHET – MORRETON – FRANCE – FOURNAND § BEYRON – ECUYER § THOMAS – PUPIER § PERONNET et BARONNIER. Les 4 premières Maisons citées ci-dessus décidèrent de se grouper ensemble et c’est le 1 janvier 1966 qu’est née « LA SOCIETE INDUSTRIELLE DE CHAPELLERIE ».

L’effectif était d’environ 800 ouvriers et les fabrications furent concentrées dans 2 usines (FLECHET § MORRETON), les autres furent fermées et servent actuellement de dépôt de Matériel.

nicobeyeEn 1966 la production fut de 1.300.000 pièces environ pour l’année, elle diminua tous les ans pour tomber à 450.000 pièces pour 1971. Chaque année de 1966 à 1971, plusieurs centaines d’ouvriers furent mis à la pré-retraite à l’âge de 60 ans à cause du manque de travail. D’autres plus jeunes changèrent de métier, ce qui fait qu’en ce début de 1972 l’effectif n’est plus que de 300 personnes et qui ne sont occupés que partiellement. Il en est de même pour ECUYER § THOMAS qui vient d’en mettre à la pré-retraite et qui n’occupe plus qu’une vingtaine de personnes, et c’est la seule usine restant avec la SOCIETE INDUSTRIELLE de CHAPELLERIE, PUPIER § PERONNET ayant fermé en 1969 et BARONNIER fin 1971.

Le port du chapeau s’amenuise de plus en plus, soit femme, soit homme et surtout sur la France. C’est à l’exportation qu’est écoulée la production actuelle pour 65% environ, principalement sur l’Allemagne.

En ce début d’année 1972, la situation de la Chapellerie à Chazelles reste bien sombre pour l’avenir, comme elle l’est également pour trois autres Maisons en France, l’une à Espéraza qui fait un peu de feutre laine, l’autre à Bourg de Péage n’a qu’une très petite production en feutre poils homme.

Je dois ajouter qu’il existait avant 1914 à Chazelles 3 Maisons fabriquant des chapeaux de paille pour hommes, FERRIER qui a cessé ses fabrications au cours de la guerre de 14/18 ainsi que PERRICHON et BOURNE qui, eux, les ont arrêtées vers 1924, ils se sont reconvertis à cette époque pour faire du feutre poils.

nicbeyr

≤≤≤≥≥≥

*  Hyppolyte Bourne. Histoire de la ville et de la commanderie de Chazelles-sur-Lyon. Brassart, 1912
** Éliane Bolomier. La chapellerie à Chazelles, une esquisse chronologique. Études rurales. 1984.  93-1, p. 271-276.

(les photos de Nicolas Beyron proviennent d’archives de Chazelles-Histoire et collection personnelle).

 

La photo de la bande déroulante 

CastorChapeauDer Kuerschner klopft