Il existait autrefois sur la commune de Chazelles-sur-Lyon des propriétés appartenant à des grandes familles nobles en dehors des terrains appartenant à la Commanderie. On peut citer le domaine de La Charentaine à la sortie de la ville sur la route de Saint Symphorien-sur-Coise qui jouxtait le domaine de Hurongues. Il fera l’objet d’un futur travail. Il y a eu aussi des familles chazelloises qui, par fonction, sont devenues propriétaires de grandes surfaces de terrain devenues domaines. Il s’agissait alors la plupart du temps de grands bourgeois qui usaient de la particule et du terme de “château” pour accéder par usage au statut convoité de noble. C’est probablement le cas de La Rouillère, lieu-dit situé sur la route de Saint Galmier à la sortie de Chazelles.
Le domaine de la Rouillère (orthographe actuelle) est une propriété avec un «château» qui a été cadastrée au moins sur l’Empire. Elle était située au sud-ouest de Chazelles entre La Tour et Belle-Croix, limitée à l’est par le chemin des Éventails et au sud par le chemin du Racle. Il s’agissait d’un ensemble de bâtiments comportant des fermes, peut-être un château (mais alors depuis longtemps disparu) et un pavillon ou manoir habité par la famille Pupier et ses descendants jusqu’en 1932. La plupart de ces éléments se retrouve sur le cadastre napoléonien de 1810 qui précise d’ailleurs en limite de propriété l’existence du chemin du Pavillon rejoignant au niveau de la Croix de la Rouillère (aujourd’hui disparue) le chemin du Racle.
Cet ensemble domanial se retrouve dans le livre d’Hyppolyte Bourne. L’historien décrit le parc de la Roullière (orthographe de l’auteur) comme ayant pu autrefois inclure et correspondre donc à la Font (comme fontaine) du Buyat, représentée alors par un petit étang que l’on trouvait donc encore en 1912, date de son livre, dans le bas de la propriété le long de la route de Saint Galmier. Cet endroit a historiquement une grande importance car il pourrait correspondre au point de rencontre des limites de juridiction de Saint Symphorien, de Saint Galmier et de la Commanderie de Chazelles avant la Révolution. Il faut savoir que les commandeurs avaient le pouvoir de justice et de sentence, mais que l’application de certaines peines relevait du châtelain de Saint Galmier. C’est ainsi que les condamnés à mort, à la relégation ou à la mutilation étaient remis à ce représentant du comte du Forez dans cet endroit de la Font du Buyat pour l’exécution des peines. Un argument de plus, pour situer cette frontière juridictionnelle à cet endroit, se trouve dans le nom du lieu : d’anciens écrits parlent de Roullière, comme d’ailleurs Bourne, d’autres, tel le cadastre napoléonien, utilisent le terme Rouillière. Les deux mots trouvent une étymologie commune dans l’ancien français roeillier dont dérive roullier ou rouillier : tous mots dont la signification est notamment de battre et frapper à coups redoublés, ce qui pourrait correspondre à la zone de mise en application des sentences comme de nombreux témoins de l’époque, et rapportés par l’historien plus haut cité, l’ont décrit. On amène sous escorte à la Font du Buyat et la Croix de Degolaz toute proche, les prisonniers pour les bannir. On en laisse ou on en traine certains comme morts.
C’est dans cet endroit que l’on trouve déjà vers 1480 des terres appartenant aux Pupier de Chazelles. Cette famille se signale très tôt à la commanderie de Chazelles en prenant la fonction de juge châtelain, représentant du commandeur : fonction familiale quasi héréditaire puisque l’on trouve toute une suite de génération de Pupier à ce poste. En 1480 c’est Mathieu Pupier. En 1590 c’est André Pupier qui est signataire de la grosse cloche de l’église, en 1655 on trouve Balthazar, en 1661 c’est Claude et puis après un gendre de la famille: Pierre Commarmond, c’est à nouveau Jean Pupier en 1754. La famille donne aussi plusieurs chanoines à la collégiale de Saint-Just près de Lyon. C’est l’un d’eux, François, qui en 1562 lors de l’attaque de Lyon par les protestants sauva le somptueux trésor de cette église comprenant entre autres un important reliquaire dont la Rose d’Or du pape Innocent IV et le crâne de Saint-Just. Il fera un très grand tour passant par Montrottier où il avait une maison, Montbrison, Clermont-Ferrand, Chazelles où il avait de la famille, cachant à chaque fois son chargement pour le protéger et le ramener au bout de quatre mois à son lieu initial (1).
Cette même famille Pupier de Brioude se retrouve à Montbrison et Moingt dès le XVII° siècle dans la préfecture du département de la Loire et fait partie de la grande bourgeoisie. Elle comporte une succession d’hommes de loi très influents. C’est le cas de Claude Pupier-Brioude, conseiller au baillage du Forez, non encore anobli qui tente de s’anoblir par habitude et utilisation d’une particule mais se voit rappelé à l’ordre avec d’autres bourgeois foréziens en 1706. C’est aussi Claude François Pupier-Brioude, son fils, conseiller du Roi et avocat, puis Claude Antoine, petit-fils, procureur du roi. C’est lui qui accède finalement en 1808 à la noblesse d’Empire après avoir été nommé par Napoléon 1° chevalier d’Empire. Devenu procureur général impérial auprès de la cour de justice criminelle de la Loire, sa descendance s’appellera alors officiellement Pupier de Brioude et aura pour armes un écusson d’or, au chevron de gueules occupant le tiers de l’écu, et chargé du signe des chevaliers, accompagné en pointe d’une croix ancrée d’azur, et en chef de trois hermines de sable sur un comble cousu d’argent. Le même homme sera d’ailleurs nommé dès 1809, président du Conseil Général de la Loire. Il meurt en 1812. On peut signaler que ce même Claude François est arrêté en 1793 par Claude Javogue (2) et ses hommes en même temps qu’une partie de sa famille dont sa sœur Anne (mariée à Mr. de Lesgalery) qui sera guillotinée en 1794. Lui, sera libéré sur injonction populaire. Une autre de ses sœurs était mariée à Pierre Dubouchet, médecin, maire de Montbrison et député de la Convention sous la Révolution.
C’est cette famille qui possède la propriété à la Rouillère dont nous parlons plus haut. Elle possédait bien sûr beaucoup d’autres terrains en raison de sa position dominante dans la ville comme châtelains pendant des décennies. Ce sont eux qui ont notamment donné les terrains derrière les murailles du nord de la ville pour ouvrir justement le Boulevard du Nord. La famille possédait aussi la Maison Neuve vendue à la ville pour en faire le presbytère jusqu’en 1906, année où elle est devenue la Mairie d’aujourd’hui.
Elle est à différencier d’autres familles Pupier de Chazelles dont les Pupier de Saint-Georges qui seront décimés sous la révolution avec séquestration de leurs biens, les Pupier Bras de Fer, quincaillers et gros propriétaires terriens dans le quartier du même nom qui avaient une enseigne sur la Grand-Rue tenue par une barre de fer, d’où le surnom.
Si vous sortez de Chazelles par la route de Saint Galmier, après quelques centaines de mètres et le lieu-dit La Tour, vous allez trouver la Rouillère sur votre droite juste avant d’entamer la montée qui mène à Bellecroix. On aperçoit à ce niveau et sur la ligne d’horizon le village de Maringes avec son clocher pointu caractéristique.
On voit aussi un long mur en pisé bordé par une petite route : le chemin du Pavillon. On aperçoit, tout en haut, un groupe de bâtiments qui constitue des exploitations agricoles actives. Sur le bas de la propriété dont on devine la limite, c’est le chemin du Racle qui passe devant un squelette de mur, un transformateur et des pylônes électriques soutenant une ligne à haute tension montant de la plaine du Forez.
C’est ce qu’il reste du domaine de la Rouillère ou Roullière. Il y avait encore en 1932 un manoir qui servait de maison de campagne à la famille Pupier de Brioude jusqu’à ce qu’elle devienne l’habitation d’une des dernières descendantes de Claude Antoine Pupier de B. : Marguerite, fille de Jean Baptiste Pupier de B. (3).
Elle était mariée avec Etienne de Leullion de Thorigny, fils d’une vieille famille noble de Bibost et vivant à Bessenay. Le couple avait eu trois filles. Celles-ci ont été élevées dans la propriété familiale : on a embauché une institutrice pour l’enseignement.
L’ainée, Marie Claire, se marie avec un médecin, natif d’Aveize, qui exerce à la fois, semble-t-il, sur Chazelles et sur Saint Galmier : le Docteur Dupré. Le mariage a lieu quelques semaines après la mort du père agé de 51 ans. Ce médecin a notamment une sœur qui est mariée au docteur Odin exerçant aussi à Saint Galmier, conseiller général. Les deux beaux-frères vont travailler ensemble et faire notamment des publications sur les eaux minérales de cette ville. La seconde, qui se nomme Julie, reste célibataire et vit à la Rouillère. Elle aura une fille qui sera déclarée sans père par le docteur Grégoire de Chazelles en 1891. Alphonsine meurt en 1900 à l’âge de 9 ans. Elle va bénéficier d’un véritable lit de fleurs naturelles à son enterrement à Chazelles.
La croyance populaire veut que l’enfant ait été enterrée ensuite sur les terres familiales. La troisième, Louise-Marie Marguerite se marie quelques semaines après la mort de sa mère en 1888 avec Mathieu Thollot, natif de Bessenay. Il s’agit aussi d’une famille issue de la commune d’Aveize. Le mari déclare à l’occasion du mariage reconnaitre être le père d’une petite Marie-Hélène née un mois plus tôt. Le couple aura au total 3 filles dont l’une rentrera dans les ordres. Ils ne demeureront pas à Chazelles. Toutes sont aujourd’hui décédées.
Ainsi le domaine de la Rouillère va être occupé par Julie de Leullion de Thorigny qui y vit seule après la mort de sa mère, aidée d’un fermier du nom de Besson et d’un valet appelé Dansé entre 1888 et 1932, date de sa mort. Quel vieux chazellois n’a pas gardé le souvenir de cette femme énigmatique, à la vie particulière, qui montait régulièrement à pied depuis sa propriété, précédée de son valet , habillée de robes qui trainaient au sol, pour faire ses commissions, acheter ses gâteaux dans la Grand-Rue et terminer son circuit par une halte à l’église où la famille Pupier disposait de sièges et prie-Dieu rembourrés et tapissés. Elle a possédé très longtemps une chapelle dans l’église, achetée devant un notaire royal et le curé (5) ? La pensant très riche, ce qui était probablement le cas, les enfants courraient autour d’elle pour réclamer une ou deux pièces. Une chanson lui avait même été destinée…
Julie de Brioude est à l’origine de nombreuses légendes mystérieuses entretenues par la mémoire populaire. Certains évènements violents réellement vécus à la Rouillère sont cependant là pour envisager l’existence quasi certaine de situations dramatiques que racontent les vieux chazellois. IL est ainsi permis de penser que «La Brioude»(4), n’avait plus, à partir d’un certain moment de sa vie, toutes ses facultés. Il faut dire que depuis son enfance et tout au long de sa vie, elle n’avait, semble-t-il, pas été épargnée.
À sa mort, le pavillon, dont certains anciens se souviennent encore, et qui n’avait rien d’un château, a été rasé. On dit que l’intérieur était dans un état épouvantable, totalement insalubre.
Aujourd’hui le domaine de la Rouillère, une très longue page d’histoire de la ville, est occupé par des agriculteurs en activité. Il n’y a plus aucune trace du “chateau” d’une famille anoblie issue de Chazelles.
Ci-dessous, il s’agit d’un dessin visant à reconstituer le “pavillon” ou le “manoir” (mais pas un “château!) dans lequel a vécu Julie de Leullion de Thorigny jusqu’à sa mort. Quelques témoignages de personnes agées nous ont permis de le réaliser. Le pavillon se trouvait au fond de la propriété et en dessous des fermes, dans l’axe du portail d’entrée. Il comportait des avancées de chaque coté d’une porte palière, surmontées de toits en V. Il ne s’agissait pas d’un grand bâtiment et il y avait très peu d’ouverture.
(1) Les pérégrinations en 1562, des reliques de la collégiale de Saint-Just de Lyon, à travers le Lyonnais, le Forez et l’Auvergne pour les soustraire au pillage des protestants. — Communication de M. Richard. La Diana BULLETIN DE LA DIANA- TOME NEUVIEME 1896 & 1897
(2) Claude Javogue est aussi issu d’une famille de notables montbrisonnais. Le père, Rambert, était notaire royal et avocat au Parlement. Il est élu député de la Convention comme Dubouchet.
(3) Jean-Baptiste Pupier de Brioude a une sœur qui se marie avec Laurent Chavassieu, maire de Montbrison. Elle meurt lorsque son fils Jean Baptiste a un an. L’enfant sera élevé par son père qui ne se remariera pas. Ce sera aussi un futur maire de Montbrison, un député de la Loire et ensuite un sénateur.
(4) Un diminutif irrespectueux qui servait à la nommer et à l’interpeler pour rappeler sa situation nobiliaire récente particulière ne justifiant pas son coté souvent méprisant et hautain: ce n’était qu’une Pupier après tout, pensait-on.
(5) totalité de la référence transmise à PHIAAC par Danien Besson (Histoire et Patrimoine de Meys)
21 février 1753 Cession de chapelle à Chazelles par Chapuy à Pupier
Fut present Mre Barthelemy CHAPUY Chevalier seigneur de Clérimbert, les Olmes, Hurongues et autres lieux, demeurant ordinairement en son chateau de Clerimbert, parroisse de St Simphorien le Chateau, fils et heritier universel de deffunt Mre *Pierre* CHAPUY, aussi Chevallier demeurant a son deceds en la ville de Chazelles sur Lyon, lequel de gré, tant en son nom qu’en ladite qualité et en chacun d’iceux sollidairement *et du consentement de Mre François COCHARD curé et de Me Rambert BLEIN lieutenant icy présants* , a concédé, quitté, remis, renoncé et transporté purement et simplement, irrévocablement, avec promesse de maintenir et faire jouir en paix envers et contre tous, a Me Jean PUPIER, notaire royal, Commissaire en droits seigneuriaux, capitaine chatelain et lieutenant de juge de la Juridiction de la Ville et Commanderie dudit Chazelles, présent et acceptant, a scavoir la chapelle et touttes ses dépendances, étant dans la nef de l’eglize parroissialle dudit Chazelles, étant sous le vocable de St François de Salles, du costé de midy, et joignant la chapelle des héritiers de Me Pierre COMMARMOND d’orient, pour par ledit Me PUPIER et ses successeurs, jouir a l’avenir et a perétuitté de la susdite chapelle et dépendance, et tous de même que ledit Mre CHAPUY en a jouit, et pour cet effet d’en prendre pocessions, réelle, actuelle et corporelle dès ce jourd’huy, icelle chapelle franche et exempte de touttes charges de quelles natures qu’elles puissent etre. La présente concession faitte moyennant le prix et somme de quatre vingt dix neuf livres dix neuf sols, laquelle somme de quatre vingt dix neuf livres dix neufs sols, ledit Mre CHAPUY reconnoist et confesse avoir eue et recue presentement, réellement et comptant, en bonnes espèces de monnoye ayant cours, dudit Mre PUÏER, dont il se contente, l’en quitte et promet faire tenir quitte envers et contre tous, a l’effet de quoy, il a fait à son proffit de la susdite chapelle toutes les devestitures et investitures, donnation de plus vallue et autre en tel cas requises et nécessaires, Promettant, obligeant, soumettant, renoncant. Fait et passé au château de la Commanderie dudit Chazelles, l’an mil sept cent cinquante trois, et le vingt un février avant midy, en préseance de Jean RAGEY et Pierre CHANIEUX maitres chapelliers demeurant en ladite ville de Chazelles, témoins requis qui ont signés avec les partyes.
[signé] Chappuis Clerimbert Pupier Cochard curé de Chazelles
Jean Ragey Blein Mathevon notaires royal
Controllé et insinué a St Galmier le 5è mars 1753, receu trente six sols
[signé] Depinhac
Transcription Daniel Besson en février 2012 AD Loire; 5E44_623 MATHEVON – photos 9934-9935