Il adorait peindre et dessiner et pourtant en famille on pensait, comme beaucoup de celles-ci à cette époque, qu’il n’y avait pas de carrière dans cette voie qui passait par les Beaux-Arts, écoles couteuses et situées dans les grandes villes et donc lieux de perdition à double titre. On vivait encore au milieu du 20° siècle avec l’idée qu’artiste-peintre rimait, comme à la fin du siècle dernier, avec absinthe (pourtant sans r!): la mère de tous les vices avec ses vapeurs sources d’impressions et de rêves (c’était la fée verte de Toulouse-Lautrec, Modigliani, Paul Gauguin, Vincent Van Gogh, Edward Munch sans oublier les poètes comme Verlaine ou Rimbaud). Pourtant Jean-Antoine Berger, un peintre régional natif de Viricelles, enseignant en arts décoratifs, loin de ces armoises, un membre du «Caveau Stéphanois» était un élément de la famille: sa femme est une Néel !
Albert Néel se satisfait donc des petits croquis qu’il dresse au fil des jours dans ses promenades et dans ses activités. Il les remplit ensuite de couleurs et d’émotions mais cela ne préjuge en rien d’une carrière. Arrivé à 14 ans, il lui faut trouver un métier : il choisit celui d’ébéniste car c’est surement celui qui se rapproche le plus de ses aspirations artistiques. Aussi contacté aussi par Pierre Malmenaide (un imprimeur chazellois natif de Lyon passionné de peinture et plein de culture) pour rentrer dans sa maison d’impression de la rue Massenet, il choisit cependant de travailler le bois avec Albert Juillet, avenue des Tilleuls (on sait ainsi pourquoi et comment notre artiste peut aussi savoir sculpter ou réaliser de la marqueterie). Plus tard, il poursuivra son activité dans l’ébénisterie chez Grange à Saint Symphorien. Cependant cette activité ne le satisfait pas pleinement pour assouvir son désir de peindre. Il se lance donc conjointement dans la reproduction de tableaux de maitres, activité dans laquelle il va exceller. Il se frotte aussi à la réalisation d’affiches de fêtes régionales (il crée ainsi les premières annonces de la fête de l’airelle à Duerne) mais aussi celles de spectacles et de cinéma, ce qui lui permet d’approcher un grand nombre de personnalités artistiques de l’époque comme Luis Mariano, Georges Guétary, André Bourvil dont il garde des souvenirs aussi marquants que contrastés.
Très tôt, il s’est lié d’amitié avec Adrien Monier, un autre chazellois représentant en chapellerie, lui aussi peintre notamment aquarelliste. Il a remarqué le talent du jeune Albert Néel : ils partagent un même goût pour le dessin et les couleurs, une même façon d’aborder toiles et papiers. Ils découvrent ensemble les salons de peinture régionaux et s’aiguisent les sens. Les compères se lancent dans les expositions et récoltent prix et médailles mais Adrien Monier décède en 1972 et Albert Néel poursuit seul le chemin.
En 1982, il ouvre une galerie d’art, rue Emile Rivoire à Chazelles, dans l’ancienne menuiserie de la manufacture de chapeaux France. Il y est toujours aujourd’hui. L’artiste peintre vous y attend d’ailleurs pour vous faire découvrir ses œuvres tout en vous racontant sa passion.
En 1993, il organise avec les habitants du village natal de son père : Viricelles, la fête des Epouvantails, manifestation riche en couleurs, inventions, émotions, créations où se forment des êtres improbables ni tristes ni inquiétants, rieurs à l’image de ces personnages saltimbanques, musiciens, gitans et danseurs énigmatiques qui occupent une autre partie de son œuvre d’artiste-peintre et à travers laquelle il écrit son imaginaire coloré, bruyant et éphémère (ce sont des roulottes d’un jour entourées de gitanes dansantes et de musiciens habiles). Ce rendez-vous régional incontournable ne devrait pas disparaitre faute d’argent, comme on l’entend dire, tant il a fait rêver et ce depuis plus de deux décennies. N’y va-t-il plus de place pour la création populaire dans un monde qui ne veut plus investir s’il faut en plus payer pour amuser le citoyen?
Signalons enfin qu’il a réalisé l’immense vitrail du Collège Jacques Brel à Chazelles intitulé « Les portes de la connaissance ». C’est une œuvre pleine de couleurs et de vie. Ces autres aspects du talant d’artiste d’Albert Néel seront évoqués dans un autre article.
Albert Néel est un habitué des salons régionaux de peinture où il est invité et souvent désigné comme membre du jury pour l’attribution des récompenses qu’il a maintes fois d’ailleurs reçu de la part de ses pairs en France et à l’étranger tels les prix Léonard de Vinci ou ceux de la ville de Turin, Florence ou Rome. Il siège dans de nombreuses sociétés et académies artistiques.
Il faut oser rentrer dans ce petit atelier qui comporte au rez-de-chaussée une grande pièce dont les murs sont couverts des toiles du maitre. La vitrine est occupée par un très beau chevalet de peintre : c’est celui qui a appartenu à Adrien Monier et qui continue à vivre avec un superbe meuble à tiroirs façon art nouveau correspondant à la boite à peinture du même artiste. Toutes ses brosses et pinceaux sont autant de souvenirs qui attendent, immobiles par la volonté du propriétaire des lieux, un retour impossible.
On est vite pris d’affection pour ces petites toiles accrochées aux murs qui continuent à donner une âme à des vieilles bâtisses : fermes en pisé d’hier, usines d’autrefois, maisons abandonnées, granges oubliées toutes gardées dans leur décors d’arbres tantôt vaillants, droits et forts tels les peupliers, tantôt frêles, tortueux et noueux tels les saules ou les hêtres. On trouve dans ces tableaux le Chazelles d’hier avec le rouge puissant des toits surmonté des tons doux et multicolores d’un ciel si particulier à la région.
La moindre cabane perdue au fond d’un terrain prend un air de fête et devient un château en bois pour le jardinier et ses outils. On en vient à regretter sa disparition. C’est tout ce travail de conservation du patrimoine dans un souvenir brossé qu’il faut admirer. On trouve ici beaucoup de paysages du Chazelles industriel et agricole d’hier aujourd’hui disparus, ceux que le photographe de l’époque n’avait pas pris le temps ou jugé utile de fixer tant ils paraissaient communs.
Albert Néel leur a donné une âme et un côté éternel. Le pan de mur fendu et mis à nu par le vent, desséché par le soleil attend une nouvelle ondée pour s’ouvrir encore plus et montrer le cœur de la maison qu’il protégeait : il qui continue à battre au même rythme que le temps.
On découvre petit à petit la façon de travailler de l’artiste peintre utilisant une mémoire étonnante et toujours pleinement inspiré par des croquis pris sur le terrain qu’il transfère sur toile, carton ou isorel pour leur donner ensuite les couleurs les plus personnelles possibles, celles que ses émotions ont retenu.
Il faut dire aussi qu’Albert Néel dessine merveilleusement bien, incroyablement vite avec un crayon puissant qui lui apporte les traits et les détails les plus significatifs du décor choisi et qu’il va remplir ensuite avec pinceaux et brosses.
Merci à cet écrivain de nous avoir fait partager son travail, ses émotions. S’il est difficile de rentrer dans le monde souvent imaginaire de l’artiste, on découvre très vite qu’il tire ses sources des regards qu’il a sur la nature. Ses arbres longilignes, renforcés dans leurs contours, bordant une Coise qui sautille, scintille, éclabousse, n’en fait qu’à sa tête, deviennent les immenses bras et jambes de ces membres d’un peuple coloré sans frontières qui chante et danse autour d’un feu étincelant.